CHAPITRE II
DIEU ET LE MONDE


2.1 L'existence de Dieu et la cration>

2.1.1 Al-Kindī: "La cause premire et le vrai Un"

Dans sa Kitāb al-falsafa al-ūlā, al-Kindī, aprs une introduction sur le sens de la philosophie, commence argumenter que tout temps, mouvement et corps est ncessairement fini. Cette prmisse lui permet de dmontrer l'existence d'une cause premire, qui doit tre parfaitement et entirement une, la diffrence de toute autre chose.

Cette argumentation est prsente plus amplement et plus clairement dans son Risāla fī īḍāḥ tanāhī jirm al-`ālam et sa Risāla fī mā'iyya lā yumkin an yakūn lā nihāya la-hu, o al-Kindī anticipe l'argument des postrieurs mutakallimūn sur l'existence de Dieu d'aprs l'impossibilit suppose de l'ternit du monde. Tandis que les mutakallimūn appuient leur argument sur l'origine temporelle (ḥudūth) de toutes choses, al-Kindī s'appuie sur l'impossibilit d'arriver au moment prsent en franchissant une distance de temps infinie.

2.1.2 Muḥammad ar-Rāzī

En bon Platonicien, ar-Rāzī soutenait que ce monde n'est pas ternel, mais il fut cr d'une matire pr-existante qui est ternelle. Il n'y a pas de raison en Dieu ni dans la matire pour la fabrication du monde dans le temps, mais c'est l'instance de l'me, qui elle aussi est ternelle, que Dieu le fit, puisque l'me dsirait s'attacher la matire. Avec Dieu, la matire et l'me, ar-Rāzī mit l'espace absolu et le temps absolu pour faire cinq principes ternels. (1)

2.1.3 Ibn-Masarra

Dans sa Risāla al-i`tibār Ibn-Masarra commence avec l'observation que la nature des lments ne peut pas expliquer comment l'eau monte dans un plant, ce qui l'amne penser aux corps clestes pour une explication. De l il monte vers le monde des mes clestes, les intelligences et enfin Dieu, le roi de tout. (2)

Ibn-Masarra parle souvent de diverses catgories d'anges, et revient une "intelligence universelle" (al-`aql al-kullī) et une "grande me" (an-nafs al-kubrā), d'o vient la rvlation (dhikr) et le "sois" (kun) dans ce monde qui est entour par "l'espace universel" (al-makān al-kullī) et "le temps universel" (az-zamān al-kullī). (3)

Ibn-Masarra observe aussi que les choses d'ici-bas ne subsistent pas par elles-mmes, mais elles dpendent des tres suprieurs. Mais pour une crature, tre contingent (yaqūm bi-ghayri-hi) c'est dpendre d'une srie d'intermdiaires et non de Dieu directement. (4)

Puisque Dieu ne se renferme pas dans un genre, on ne peut le connatre qu'a posteriori. Dans Khawāṣṷ al-ḥurūf Ibn-Masarra dit que nous ne pouvons pas avoir une connaissance complte de Dieu, mais seulement une connaissance gnrale ou comparative. Il y a trois voies pour connatre Dieu: d'abord par la mtaphysique (rubūbiyya), puis par la rvlation prophtique (an-nubuwwa) et finalement par l'preuve (al-miḥna) trouve dans ses lois, et ses promesses et menaces. (5) Le meilleur moyen de connatre Dieu est de considrer ses noms et attributs mentionns dans le Qur'ān. (6) Ceux-ci sont nombreux, mais chacun d'eux implique tous les autres. (7) La mditation sur les noms de Dieu, surtout sur son "nom suprme", est un chemin vers la sagesse qui n'est pas sotrique (makhfī) mais privilgi (khuḍūḍī). (8) Dieu est la fois rvl et cach par ses cratures spirituelles (al-ghayb) et matrielles (ash-shahāda). (9)

2.1.4 Isḥāq ibn-Sulaymān al-Isrā'īlī

Pour dfinir la "cration", Isḥāq ibn-Sulaymān dit que c'est faire exister les choses partir du non-tre. Puis il fait une description du non-tre comme une sorte de privation, mais il ne donne aucune ide prcise de ce qu'est la privation.

2.1.5 Al-Fārābī: argument de la contingence

Pour nommer Dieu, Al-Fārābī vite presque partout le nom "Allāh. (10) Pas plus, il n'utilise pas l'expression fameuse d'Ibn-Sīnā et des thologiens Ash`arites postrieurs: "l'existant ncessaire" (wājib al-wujūd). Son point de dpart est plutt "le premier existant" (al-mawjūd al-awwal). (11) Dans son Mabādi' ārā' ahl al-madīna al-fādila et as-Siyāsa al-madaniyya, au lieu de construire une preuve de cette ralit, al-Fārābī ne fait que prsenter une esquisse de l'univers manantiste plotinien: commencer par cette premire cause, d'o dcoulent tous les autres existants. Dans son Ta`līqāt il dit que la connaissance du Premier Existant Ncessaire est une connaissance primordiale (awwaliyya), ne provenant pas par acquisition (min ghayr iktisāb). (12)

Nanmoins, dans son Falsafa Arisṭūṭālīs, al-Fārābī repte l'argument d'Aristote du premier moteur. (13) Et au dbut de son Zaynūn al-kabīr al-yūnānī et de son ad-Da`āwī al-qalbiyya, il prsente l'argument de la contingence, disant que tout tre possible dpend et dcoule d'un tre ncessaire dont l'essence et l'existence s'identifient. (14)

Quant l'unicit divine, al-Fārābī, comme tout musulman, dit que Dieu est unique, sans rival ou contraire. (15) Mais il insiste aussi sur la simplicit divine, en disant qu'il est absolument indivisible; en particulier, son essence est la fois intelligence, intelligent et intellige. (16) Cette position nie implicitement la distinction des Ash`arites entre les attributs et l'essence de Dieu, mais al-Fārābī, dans cette question comme dans d'autres, se contente d'noncer les principes sans en tirer la conclusion.

Pour al-Fārābī, la cration est un effet ncessaire de l'existence de Dieu, et l'existence des cratures provient de lui par voie d'manation (fayd). (17) En dpit de cette ncessit, al-Fārābī insiste que Dieu est suffisant en lui-mme, qu'il n'a aucun besoin de ses cratures et ne gagne rien d'elles. (18)

De la ncessit de la cration il suit forcment que l'univers est ternel, mais al-Fārābī vite de tirer cette conclusion logique, sauf dans quelques opuscules. (19) Il discute la question explicitement en comparant les opinions de Platon et Aristote mais, dans une conclusion assez vague, il renvoie le lecteur aux sources de la rvlation divine. C'est sans doute une attitude de prudence politique. (20)

Quant au mode de la cration, al-Fārābī adopte le principe plotinien que l'un ne peut produire qu'un seul effet. (21) Ainsi, la cause premire ne cre directement que l'intelligence suprme du cosmos. Celle-ci, en se contemplant soi-mme, cre la premire sphre des toiles fixes et l'me de ce corps, et en contemplant son crateur, cre une intelligence infrieure qui cre une autre sphre etc., jusqu' ce qu'on arrive l'intelligence qui rgit le monde sub-lunaire, "l'intellect agent". (22) Ce sont les corps clestes qui produisent la matire primaire et sa capacit de recevoir les formes. (23)

C'est alors un univers hirarchis, o chaque espce occupe sa place d'infriorit ou de supriorit par rapport aux autres. (24) Et, en dpit d'expressions comme: "Il est le Premier Existant qui effectue l'existence de chacune des choses hors de lui-mme," (25) la cration et la conservation des choses en existence ne sont pas l'oeuvre immdiate de Dieu, mais tout passe par la mdiation de la premire intelligence cre et des autres esprits clestes.

2.1.5 Miskawayh

Pour l'existence de Dieu, dans al-Fawz al-aṣghar Miskawayh prsente un argument partir du mouvement, mais sans rfrence explicite un systme cosmique. Il dit que tout ce qui est en mouvement (mutaḥarrik) a un moteur (muḥarrik), mais il a de la difficult expliquer comment. Pour le mouvement naturel il dit (comme dira Ibn-Sīnā) que "la nature" de la chose le meut, (26) juste comme l'me est le moteur extrinsque du corps et Dieu est le moteur extrinsque des corps clestes. (27)

En tout cas, notre connaissance de Dieu est plutt ngative que positive. (28) Si les choses naturelles ont matire et forme, et les intellects ne sont que forme, Dieu est ni forme ni matire. (29)

Dans la Maqāla fī n-nafs wa-l-`aql, aprs une exposition de la causalit instrumentale, Miskawayh prsente Dieu comme la premire cause non-cause d'une chane de causes. (30) Mais alors il insiste que la connaissance de l'existence de Dieu "est parmi les jugements primordiaux qui n'ont pas besoin d'une preuve." Et il cite des imāms qui disent, "Dieu n'est pas connu par quelque chose, mais toutes choses sont connues par lui." (31) Plus tard il explique comment on monte de la connaissance des choses naturelles la connaissance des choses divines, puis la connaissance de Dieu lui-mme. "Et on ne peut arriver ce niveau que par cette voie, c'est--dire qu'une cause [de tout cela] doit exister." (32)

Il accepte le principe que de l'un ne peut provenir qu'un, et ainsi il propose que la premire crature est l'intellect agent, et par lui il cre l'me et le corps de la premire sphre cleste. (33)

Ce qui est plus significatif est que Miskawayh anticipe Ibn-Sīnā en prsentant Dieu comme l'existant ncessaire (wājib al-wujūd), disant que l'existence n'est qu'un accident (`araḍ) pour toute autre chose, et ainsi tout dcoule (yafīḍ) et dpend immdiatement de lui. (34)

Nous avons expliqu que l'existence est en toutes choses par accident, mais elle appartient au Crateur par essence... Tous les niveaux d'existants sont ce qu'ils sont par Dieu le Trs-Haut. Son existence dborde et son pouvoir se rpend; c'est ce qui conserve l'ordre de l'univers. Si quelqu'un imaginait que le Crateur cesse cette ffusion d'existence, rien dans le monde n'existerait et tout s'anantirait en un instant. (35)

Quant la question de l'ternit du monde, Miskawayh affirme que Dieu a cr tout de ce qui n'existait pas (al-`adam), mais il explique que cela se vrifie pour tout changement. Si un animal est fait de sperme, et le sperme du sang, le sang de la nourriture, la nourriture des plantes et les plantes d'lments simples, ces lments n'ont que matire primaire et forme, et ils ne peuvent provenir que de non-existence (`adam).

Le sens ambigu du terme `adam, traduction de la "privation" aristotlicienne, ne nous permet pas de dire si Miskawayh veut dire "nant" ou privation dans quelque sujet pr-existant. (36) Dans la Maqāla fī n-nafs wa-l-`aql il est plus clair:

Le Premier absolu est celui que nous dsignons comme ternel (azalī). Cela est clair par le fait que ce qui ne cesse pas d'exister ne peut tre compos ni multipli en aucune faon, car la multitude est compose d'units... Mais le monde dans son essence est ncessairement compos. Puisqu'il est compos de choses simples qui le prcdent, il a besoin ncessairement d'un compositeur. (37)

2.1.6 Ibn-Sīnā

L'argument de la contingence

Pour Ibn-Sīnā l'argument de la contingence, celui des mtaphysiciens (ilāhiyyūn = thologiens) et la troisime voie de Saint Thomas, est la voie prfre pour montrer l'existence de Dieu. (38) "S'il tait possible de connatre la ralit (ḥaqīqa) du Premier, 'la ncessit d'existence' (wujūb al-wujūd) serait l'interptation du nom de cette ralit-l." (39) Ainsi Ibn-Sīnā dveloppe trs clairement la distinction entre "l'existant ncessaire" et "l'existant possible" pour expliquer la diffrence entre Dieu et toute autre chose et l'unicit de Dieu. (40) Une simple prsentation de cette distinction se trouve au dbut de sa ar-Risāla al-`arshiyya:

Ce qui existe ou bien a une cause de son existence ou bien il n'en a pas. S'il a une cause il est possible, galement avant son existence quand nous le supposons dans l'imagination, que dans l'tat d'existence, puisque ce qui est possible d'exister ne perd pas cette possibilit quand il entre en existence. Mais si l'existant n'a pas de cause de son existence en aucune manire, il existe ncessairement. (41)

Dans la Ta`līqāt il insiste que cette distinction est le point de dpart pour montrer l'existence de Dieu, et non le fait, comme certains raisonnent, que les choses corporelles sont insparables d'accidents qui viennent et disparaissent (muḥdatha). (42) Dans le Shifā' il fonde la distinction entre l'essence et l'existence dans la non-identification ou distinction relle de l'essence (dhāt) et l'existence (anniyya) de ceux-ci. (43) Dans son petit ouvrage, Fuṣūṣ al-ḥikma, (44) Ibn-Sīnā le fonde sur une distinction entre l'essence abstraite (māhiyya) et l'essence concrte (huwiyya), ce qui semble suffisant pour distinguer Dieu et les cratures qui sont multiples dans l'espce, (45) mais qui ne s'applique pas aux cratures spirituelles, dans lesquellesSaint Thomas le remarquel'essence abstraite et concrte s'identifient.

La Ta`līqāt fait une distinction entre ce qui est possible absolument, c'est--dire les choses qui existent aprs une non-existence, et ce qui est possible dans son essence, parce que son existence drive d'un autre, mais qui a toujours exist. (46)

Dans son Tafsīr āya an-nūr, Ibn-Sīnā explique les consquences de la contingence des choses cres:

Toutes les choses possibles qui existent et tous les grains qui existent sont illumines par la lumire de l'existence du Trs-Haut, non par une sparation de quelque chose de son existence, comme certains imaginentce qui est erreur et garementmais par une liaison (irtibāṭ) son essence. Ainsi, si une chose possible qui existe se sparait de cette liaison pour un instant, elle serait anantie. (47)

En guise de conclusion de cet argument, Ibn-Sīnā dit dans les Ta`līqāt:

Le Premier est entirement acte pur (fi`l maḥḍ); il existe ncessairement par son essence, qui est son existence. Il n'a de connexion avec rien. Il n'y a rien en puissance en lui. (48)

Mais il faut avertir que la distinction relle entre l'essence et l'existence dans les cratures, telle qu'Ibn-Sīnā la propose, ne coïncide pas exactement avec celle prsente par Saint Thomas, qui la fonde dans un rapport entre puissance et acte. Ibn-Sīnā, au contraire, nie que la possibilit de l'essence soit purement logique avec l'absence de contradiction interne, mais il exige qu'elle soit dans un sujet dj existant (et ternel), comme la matire ou la substance mme des intelligences spares qui sont toujours en acte. Parlant de ces dernires, il dit:

En un mot, si la possibilit de l'existence d'une telle intelligence spare n'est pas ralise, elle ne peut pas exister. Mais si elle existe et subsiste par son essence, elle est une substance existante. Et si elle est une substance elle a une quiddit qui est complte en elle-mme, puisque une substance n'a pas des ajouts son essence, et tout adjoint est accidentel; ainsi cette substance subsistante par elle-mme a une existence distincte de la possibilit de son existence, et cette existence lui est un ajout. (49)
En un mot, tout ce qui commence d'exister aprs une non-existence a ncessairement une matire, puisque tout ce qui commence d'exister a besoin, avant son existence, d'tre possible d'exister, puisque s'il lui tait impossible d'exister en elle-mme il n'existerait pas du tout. Et sa possibilit d'exister ne consiste pas dans le fait qu'un agent a le pouvoir sur lui, mais l'agent n'a aucun pouvoir sur lui s'il n'est pas possible en lui-mme. (50)

Ces sont les passages qu'Ibn-Rushd et Saint Thomas critiquent comme faisant de l'existence un accident.

L'argument du mouvement

Ibn-Sīnā prsente aussi l'argument des matres de la science naturelle (ṭabā`iyyūn) pour l'existence de Dieu, (51) qui est la premire voie de Saint Thomas, partir du mouvement. (52) C'est ainsi qu'il garde les appellations divines "le premier moteur" (al-muḥarrik al-awwal), (53) et "premier principe" (al-mabda' al-awwal). (54)

L'argument des dgrs de perfection

On peut aussi apercevoir la quatrime voie de Saint Thomas dans les Ta`līqāt, o Ibn-Sinā compare les divers niveaux de perfection des choses pour montrer leur finitude et imperfection essentielle (non existentielle) et ainsi leur dpendance d'un tre infiniment parfait. (55)

L'argument de la causalit

Les Ta`līqāt prsentent aussi l'essentiel de la deuxime voie de Saint Thomas, argumentant qu'une srie de causes doit ncessairement aboutir une premire cause non-cause. L'argument, comme chez Saint Thomas, n'est pas un argument indpendant, mais peut s'appliquer galement au mouvement et l'existence. (56)

L'argument d'individuation des choses corporelles

Dans son Kalimāt aṣ-ṣūfiyya, Ibn-Sīnā prsente une argumentation que l'individuation des choses corporelles ne peut pas venir de leur essence, qui est commune, mais elle doit venir d'une cause extrieure incorporelle qui les spcifie dans leur individualit. "Ceci indique l'existence du Crateur." (57)

L'unicit et simplicit divine

Pour l'unicit divine, Ibn-Sīnā prsente les arguments usuels pour que l'Existant Ncessaire ne puisse pas se multiplier. (58)

Quant la simplicit divine, Ibn-Sīnā n'hsite pas prendre explicitement la position si provocante aux Ash`arites qu'il n'y a pas de distinction relle entre l'essence de Dieu et ses attributs et entre les attributs en eux-mmes. (59) Il rpond la position Ash`arite quand il dit:

Si on dit que son attribut n'est pas additionnel son essence, mais qu'il est intrinsque la constitution de son essence, et que son essence ne peut pas se concevoir sans ces attributs, la consquence est que son essence est compose, et son unit est dtruite. (60)

La simplicit de Dieu, comme Ibn-Sīnā dit ailleurs, exclue une quiddit (māhiyya) ou une substance (jawhar); on peut affirmer seulement le fait de son existence (anniyya) et qu'il est un individu (shakhṣ). (61)

La cration

Dans la question de la cration, Ibn-Sīnā guarde l'ide de Plotin et al-Fārābī que l'Un et Premier ne peut crer directement qu'une chose. (62) De l'intellect, qui est la premire crature, dcoulent les autres intelligences et mes des corps clestes et le reste de la cration corporelle. (63) Ainsi Dieu est le Crateur indirect de toutes choses, sauf le premier intellect. (64)

Suivant le systme cosmologique d'al-Fārābī, Ibn-Sīnā tient que ce premier intellect cre l'me et le corps de la sphre suprme des toiles fixes et aussi l'intellect spar correspondant la prochaine sphre. L'manation coule de la mme faon jusqu' la sphre de la lune. (65) Le trne de Dieu, souvent mentionn dans le Qur'ān, est la sphre des toiles fixes, laquelle Dieu prside, mais non par mode d'inhabitation (ḥulūl) comme les thologiens disent. (66)

C'est Ibn-Sīnā qui a introduit dans la philosophie arabe la notion de la cration du nant, (67) ce qui s'accorde avec l'ide d'un univers ternel dont l'existence provient toujours de Dieu. Le mouvement des corps clestes a t depuis toujours, ce qui exige que le temps le soit aussi. (68) Ibn-Sīnā rpond l'objection de l'impossibilit de l'existence d'une infinit de mouvements en disant que ce qui est pass n'existe plus. (69) Ailleurs Ibn-Sīnā raisonne que Dieu doit toujours crer, parce qu'autrement il devrait passer de la puissance l'acte; (70) en insistant que la volont de Dieu est inchangeable, il rejette la position Mu`tazilite que le pouvoir divin (qudra) serait la "possibilit" (imkān) de faire quelque chose. (71) Ibn-Sīnā chappe l'objection qu'il y a toujours de la nouvaut dans le monde, ce qui exigerait des actes divers de cration, par la thse que Dieu ne cre qu'une seule chose, la premire intelligence.

Vers la fin de Kalimāt aṣ-ṣūfiyya, o il y a une rfutation une srie de hrsies, on trouve l'nonc surprenant sur la pr-ternit:

Comme tu connais que le monde exige un Crateur et qu'il est en puissance son existence et qu'il a besoin d'une cause de son existence, il est inimaginable qu'il soit pr-ternel (qadīm), puisque il n'y a rien qui est pr-ternel sauf Celui qui existe ncessairement, le Trs-Haut et Saint. (72)

Ce passage semble aller contre tout ce qu'Ibn-Sīnā dit ailleurs, mais dans sa Risāla fī l-ḥudūd il distingue entre ce qui est pr-ternel par rapport au temps, "qui a exist depuis le pass infini", et ce qui l'est par rapport son essence, "qui n'a pas de principe de son existence"; Dieu seul est pr-ternel dans ce dernier sens. (73) De la mme faon il distingue "faire exister" (iḥdāth) entre un sens temporel de faire exister quelque chose aprs une non-existence et un sens non-temporel de donner quelque chose une existence qui ne fait pas partie de son essence, et cela sans restriction de temps. (74) Il critique les Mu`tazilites qui feraient de Dieu la cause du devenir (ḥudūth) des choses et non de leur tre (wujūd); les deux exigent une cause. (75)

Comme Dieu est le Premier, la cause efficiente de tout, il est aussi le Dernier, la fin de tout l'univers. Ainsi les choses cres ne peuvent pas tre des objectifs (aghrāḍ) ou des fins pour lui, mais elles sont purement lawāzim, c'est--dire, dpendantes de lui. (76) Ibn-Sīnā explique que cette dpendance n'implique pas une ncessit de la part de Dieu parce que l'existence des choses provient de sa connaissance (`ilm) et elles ne sont pas comme des effet naturels. (77) Toutefois Ibn-Sīnā applique le terme manation (fayḍ) au processus de cration provenant de Dieu et des intellects spars, parce que celle-l "est l'acte d'un acteur toujours en acte" (78)

Comme on l'a vu, Ibn-Sīnā admet la causalit scondaire ou naturelle, avec le principe que toute motion exige un moteur. Suivant Aristote, il dit que pour les corps vivants, c'est qu'une partie meut une autre; pour le mouvement des non-vivants, comme la motion gravitationnelle, c'est "le donateur des formes" qui a engendr ces corps qui est le moteur. Mais Ibn-Sīnā ajoute de sa part que le gnrateur meut par l'instrumentalit de la forme du corps, qui est le moteur immdiat. (79) Mais cette attribution d'une causalit efficiente la forme ne fut accept ni par Ibn-Rushd ni par Thomas d'Aquin.

2.1.7 Ibn-Gabirol

Selon la pense platonienne d'Ibn-Gabirol, l'homme connat Dieu et les autres choses spirituelles par l'abstraction que l'intellect fait du mtaphysique partir du physique. (80) Dieu cra d'abord le Logos, connu plus communment comme la Volont (ra`ṣn), qui est sans commencement ni fin temporelle (dahrī), puis un Intellect, qui a un commencement mais non une fin, puis une me universelle, finalement la matire universelle. Toutes les chose hors de Dieu, la Volont et l'Intellect inclues, sont composes de la matire, mais dans les choses les plus basses la matire est plus dense et plus lourde. La diffrenciation des choses dans une hirarchie de supriorit et d'infriorit vient de la forme. Les choses complexes ont des formes substantielles multiples, la plus basse tant celle d'un corps. (81)

Il est impossible de dfinir la Volont, mais on peut la dcire. Elle est une facul ou puissance (koḥ) de Dieu, qui fait la matire et la forme et les joint ensemble. Elle pntre tout d'en haut jusqu'en bas, tout comme l'me pntre le corps et se rpand travers lui. Elle meut et guide tout. (82)
On peut comparer la Volonte un crivain; la forme est comme l'criture qu'il fait, et la matire qui reoit l'criture est comme un tableau ou un papier. (83)

Les formes diffrentes sont le rsultat de la diffrence de la matire pour reevoir. La matire se rapporte la forme comme une substance un attribut. La potentialit de la matire n'est que son pouvoir de recevoir une forme de la Volont. (84)

2.1.7 Ibn-Bājja

Ibn-Bājja prsente Dieu comme le Moteur premier de l'univers, tandis qu'il admet une multiplicit de moteurs premiers, chacun dans un cadre limit, comme les mes des animaux qui meuvent leurs corps travers l'instrumentalit des forces physiques; ainsi Ibn-Bājja retient l'ide d'Ibn-Sīnā que la forme est la cause motrice de la matire. (85)

Dans ses traits "mtaphysiques" ce client prudent des princes patrons n'affirme ni ne nie l'ternit de la motion ou du monde; une rfrence "la non-existence (`adam) continue et infinie avant que Dieu ait cr le monde" est propose simplement comme un exemple parmi plusieurs pour la dfinition de la continuit. (86) Mais dans ses commentaires sur les oeuvres d'Aristote, il suit son Matre dans ce sujet sans poser de questions. (87)

2.1.8 Ibn-ufayl

Aprs avoir matris la science naturelle et distingu la cause matrielle et la cause formelle, Ḥayy ibn-Yaqẓān se tourne vers la cause active (fā`il). (88) Puis il voit que l'univers entier est comme un seul animal, dont le ventre est le monde de gnration et corruption. Il a de la difficult dcider si l'univers a un commencement ou non, mais dans les deux cas il a besoin d'une cause active. S'il a un commencement, c'est vident, mais s'il a toujours exist (et les arguments pour cela semblent peser plus lourd) il a besoin d'un moteur immobile ternel. (89) Ensuite Ḥayy contemple la beaut du monde, ce qui devient un "argument de dessein". La section conclut avec quelques remarques sur la thologie ngative. (90) Plus tard vient l'affirmation qu'il n'y a pas de diffrence relle entre l'essence de Dieu et ses attributs. (91)

Vers la fin Ḥayy ibn-Yaqẓān, aprs une exprience soufique, dit qu'il n'y a pas de diffrence entre lui et Dieu. Il s'explique en proposant un monisme comprhensif, disant que toutes choses ne sont que comme la lumire du soleil. (92) Cette unicit s'applique aussi aux esprits clestes (qui animent les corps clestes et sont toujours en acte (93), mais on ne peut pas strictement dire que ces esprits sont un ou multiples, parce que la multiplicit et l'unicit sont attributs des corps. (94)

2.1.9 Ibn-Rushd

La pr-ternit du monde

La pr-ternit du monde fut la premire thse attaque par al-Ghazālī dans son Tahāfut al-falāsifa, o il essayait de rfuter les arguments pour la ncessit de cette pr-ternit et mme dmontrer son impossibilit. La rponse d'Ibn-Rushd, dans son Tahāfut at-Tahāfut fut de rfuter les arguments pour l'impossibilit de la pr-ternit du monde et tablir sa ncessit. Son argument principal pour cette ncessit fut:

Il y a un Principe ternel du mouvement du monde [supposant l'argument d'Aristote pour le Premier Moteur] sans commencement et sans fin, et son acte ne peut tre postrieur son existence. En consquence son acte ne peut pas avoir un commencement, de mme que son existence. Autrement son acte serait possible et non ncessaire et il ne serait pas le Premier Principe. Ainsi les actes d'un Agent qui n'a pas de commencement de son existence n'ont pas de commencement, de mme que son existence. (95)

Le problme envisag par Ibn-Rushd fut qu'une cration temporelle exigerait un changement dans la volont et action de Dieu. (96) Sa position, en un mot, est qu'il n'y a pas de premier dans le pass, mais il y a un Premier qui est matre du pass, du prsent et du futur. Tout ce qui a un commencement doit avoir une fin; tout ce qui n'a pas de commencement n'aura pas de fin. (97)

Contre l'objection que le temps, de la mme faon que l'univers, ne peut pas tre infini, Ibn-Rushd distingue soigneusement entre une infinit corporelle de l'univers, dont il affirme l'impossibilit, et l'infinit du temps, ou des rvolutions clestes et des gnrations dans le monde infrieur; celles-ci sont infinies par accident (bi-l-`araḍ). (98) Ainsi il accepte (avec al-Ghazālī) que le temporel (ḥ ādith) peut procder de l'ternel (qadīm), mais non en tant que temporel, mais comme appartenant une srie qui est spcifiquement ternelle. (99) Les corps clestes ressemblent l'ternit de Dieu dans la dure de leur tre, mais dans leur rvolutions ils ressemblent aux choses temporelles dont ils sont les causes. (100) En parlant de ces rvolutions dj infin,ies on ne peut pas utiliser le mot "totalit" (kull), mais seulement d'une totalit d'un nombre dfini de rvolutions. (101) Nier la possibilit d'un acte ternel de Dieu, c'est nier l'ternit de son existence; les Ash`arites ont mal compris le sens du "devenir" (ḥudūth) du monde dans le Qur'ān, qui indique simplement que le monde a une cause. (102) Mettant les Ash`arites sur la dfensive, Ibn-Rushd dit:

Celui qui dit que tout corps a commenc d'exister (muḥdath) et qui veut dire que le commencement d'exister (ḥudūth) est la cration partir d'un non-existant, c'est--dire du rien (al-`adam), a propos un sens du commencement d'exister qui n'a jamais t observ. Et celui-l exige ncessairement une preuve. (103)

Le monde est ḥādith dans le sens qu'il a une cause; il est qadīm dans le sens qu'il a toujours exist. Dieu seul est qadīm dans le sens qu'il n'a pas de cause. (104) Ibn-Rushd aime citer Aristote pour qui ce qui a toujours exist ne peut pas cesser d'exister, et ce qui a commenc d'exister doit avoir une fin d'existence. (105) La motion ternelle des corps clestes est le point de dpart pour la preuve de l'existence de Dieu. (106)

Pour soutenir la ncessit de la pr-ternit du monde, Ibn-Rushd propose un autre argument partir de la dfinition aristotlicienne du temps comme "le nombre du mouvement selon priorit et postriorit". (107) Ainsi il nie que le "maintenent" (al-ān) peut, comme le point d'une ligne, tre un commencement de ce qui est avant et non en mme temps la fin de ce qui prcde. (108)

Ibn-Rushd essaie de prouver la mme thse partir de la dfinition du possible. Cela n'a pas de sens de parler de la puissance active de Dieu sans rfrence la puissance passive de ce qui va devenir. Il insiste que le possible soit dans un sujet dj existant. Rien ne peut provenir de rien; ainsi le monde doit avoir toujours exist.

La position des Ash`arites que la nature du possible est cre et commence d'exister du rien (mukhtara`a wa-ḥāditha min ghayr shay') est contre la position des Philosophes. (109)

D'autre part, Ibn-Rushd aime citer la phrase d'Aristote, "Ce qui est possible dans les choses principielles (awwaliyya) est ncessaire." (110) C'est--dire: cette possibilit du monde ne peut ne pas tre toujours actualise. On peut mme dire que l'existence du monde n'est pas possible mais ncessaire, parce que la possibilit implique la privation, ce qui disparat avec l'existence actuelle. (111) Revenant la puissance active de Dieu, Ibn-Rushd dit:

Il y a quelque chose qui exige la possiblit que le monde soit ternel et le temps aussi. C'est que Dieu le Trs-Haut est toujours puissant d'agir. Et il n'y a rien qui empche la correspondance de son acte la dure de son existence... (112)
Nous disons que le Premier ne peut pas omettre le meilleur acte et faire un infrieur, parce que cela serait un dfaut (naqṣ). Et quel dfaut est plus grand que la supposition d'un acte ternel qui est fini et limit, comme de faire [un monde] temporel. (113)

Il continue de dire que s'il y avait un dlai de l'acte d'un agent libre, ce serait parce qu'il est contraint (muḍṭarr) par des circonstances hors de son contrle, ce qui implique un dfaut de l'agent. (114) A l'objection que les corps clestes peuvent subir des changements et corruption qui ne sont pas encore aperus, Ibn-Rushd insiste que de tels changements ne peuvent pas ne pas tre observs; d'ailleurs ils seraient contre l'ordre divin (an-niẓām al-ilāhī) des choses. (115)

Dieu est la cause mouvante et finale de tout

En tout cas, l'existence de Dieu est tablie par le fait que le mouvement des sphres clestes exigent un moteur ou "pousseur". Il explique que ceci est le sens de la cration et conservation continuelle du monde. (116)

Comme Dieu est la cause active (fā`il) du monde dans le sens qu'il en est le moteur, il est aussi la cause finale (ghāya) qui meut en tant que dsire (mushtahā). (117) Puisque il est absolument immobile, (118) il est parfaitement autosuffisant et heureux. (119)

Pour l'action de Dieu, Ibn-Rushd se dfend des accusations d'al-Ghazālī en insistant que Dieu n'agit pas par une nature aveugle, ni par une volont semblable la volont humaine, mais "d'une faon suprieure que lui seul connat". (120)

Tous les attributs de Dieu sont une seule ralit

Comme il dfend l'unicit de Dieu, (121) Ibn-Rushd dfend aussi sa simplicit, prenant position avec les Mu`tazilites contre les Ash`arites qui, en distinguant les attributs de Dieu, posent une composition en lui "d'une essence dfective et des attributs cette essence". (122) La raison pour laquelle il n'y a pas de distinction entre essence et attributs en Dieu c'est qu'il est acte pur, sans aucune puissance (quwwa), ce qui exclut toute matire, ainsi qu'il est pure intelligibilit et intelligence. (123) Ibn-Rushd n'accepte pas l'accusation d'al-Ghazālī que selon les Philosophes Dieu n'a pas de quiddit (māhiyya) ou essence; il l'a, mais dans une existence tout simple et non-cause. (124)

Quant aux anthropomorphismes, bien qu'Ibn-Rushd reconnaisse que Dieu est absolument incorporel, il attaque les arguments Ash`arites pour l'incorporalit de Dieu, et il loue le Qur'ān pour l'efficacit de son enseignement en utilisant les images corporelles. (125)

Dieu n'est que le moteur, par des intermdiaires, des choses d'ici bas

Sur la question de la cration, dans le Talkhīṣ mā ba`d aṭ-ṭabī`a Ibn-Rushd accepte le principe que de l'un ne peut provenir qu'un, et il essaie par des explications ingnieuses de montrer comment les motions compliques de plantes peuvent s'accorder avec ce principe. Cette oeuvre prsente un schma manantiste dans lequel chaque crature cleste cre la crature immdiatement infrieure, jusqu'au monde sub-lunaire de gnration et corruption. (126)

Ces moteurs ne donnent pas seulement le mouvement aux corps clestes, mais aussi leurs formes par lesquelles ils sont ce qu'ils sont... Ainsi ils sont causes actives aussi en ce sens qu'ils donnent la substance d'une chose. Cette action peut tre interrompue ou tre pour toujours (dā'iman); c'est plus parfait qu'elle soit pour toujours. (127)

Plus tard, dans le Tahāfut, Ibn-Rushd dit qu'al-Fārābī et Ibn-Sīnā ont eu tort d'insister que de l'un ne peut provenir qu'un; cette position n'est pas aristotlicienne et d'ailleurs il y a dj de la pluralit dans la premire intelligence cre. Du Principe Premier peut provenir n'importe quoi. (128) Dans son Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a Ibn-Rushd cite ce principe contest comme le fondement de la supposition errone (d'Ibn-Sīnā) de la ncessit d'une substance spare au dessus de l'me de la premire sphre. (129)

Avec cette ngation du principe fondamental d'un systme de cration par intermdiaires on pourrait attendre qu'Ibn-Rushd propose une cration continuelle avec une dpendance directe de chaque chose par rapport Dieu. Mais, encore dans le Tahāfut, il continue de nier la distinction d'Ibn-Sīnā entre l'existence et l'essence implique dans la distinction entre ce qui est "ncessairement existant par son essence ou par un autre," accusant Ibn-Sīnā de faire de l'existence un accident et de l'avoir confondu avec l'tre logique d'une proposition. (130) "Le fait que quelque chose est existant n'indique pas une signification (ma`nā) ajoute (zā'id `alā) sa substance." (131) "L'existence n'est pas un attribut ajout la substance." (132) Puis il dit: "Si le monde tait pr-ternel, toujours existant mais non en mouvement... il n'aurait pas de cause agente (fā`il) en aucune manire." (133) "Si le monde n'tait pas subtantiellement en mouvement, il n'aurait pas besoin du Crateur une fois qu'il est existant." (134) Comme un bātiment aprs sa construction n'a plus besoin d'un constructeur, ainsi le monde a besoin simplement d'un moteur (muḥarrik) et non une cause de son existence, (135) quoiqu'Ibn-Sīnā et les Mu`tazilites disent le contraire. (136)

Ainsi, contre la distinction des cratures d'Ibn-Sīnā entre ce qui est "possible" (mumkin)le monde terrestreet ce qui est "ncessaire par un autre" (wājib bi-ghayr-hi)le monde cleste, Ibn-Rushd s'accorde avec les Mu`tazilites en disant que tout ce qui est en dessous du Premier Principe est "possible", mais que le monde cleste est "ncessaire" (ḍurūrī) en tant que sa substance est incorruptible, mme s'il est "possible" en tant que sujet au mouvement local. (137) Cela implique que la substance du monde n'est pas l'oeuvre de Dieu et qu'elle ne reoit pas son existence de lui, mais seulement sa motion. Mais Ibn-Rushd cherche chapper cette conclusion en disant que la motion est si ncessaire l'existence du monde, que si le moteur cessait son opration le monde serait dtruit (la-baṭal al-`ālam) (138)Ibn-Rushd ne prcise pas si cette dstruction serait une annihilation ou un changement en un chaos inerte.

Si Ibn-Rushd nie, dans le systme d'Ibn-Sīna, une cration continue travers des intermdiaires, il ne nie pas toute structure hirarchique du cosmos. Si Dieu est absolument simple, "ce qui est aprs le Premier est compris comme ayant composition, le deuxime tant plus simple que le troisime." (139) Si pour Ibn-Rushd il n'y a pas de composition entre essence et existence, quelle composition reste dans les substances spares? Ibn-Rushd n'explique pas, et contre l'objection d'al-Ghazālī que les Philosophes ne peuvent pas distinguer entre la simplicit des anges et celle de Dieu, il dit simplement que Dieu et chacun des intellects spars n'entrent pas dans un genre, mais ils sont des tres analogues l'un l'autre, dans une chelle de divers degrs de perfection, chaque intellect dpendant de son suprieur, (140) et agissant sur ses infrieurs dans une chane d'influence active. Cette influence est au niveau de l'opration, mais non de l'tre, parce que les intellects recevants n'ont pas de puissance passive (quwwa) et ils ne peuvent pas subir une transmutation essentielle qui viendrait d'une cause agissante (fā`il), ce qui exclut la notion avicenienne de cration par intermdiaires. (141)

Les corps clestes et leurs mes

Ibn-Rushd est aussi en dsacord avec l'opinion d'Ibn-Sīnā que les corps clestes sont composs de forme et matire; (142) Ibn-Rushd insiste qu'ils sont simples, avec une corporit immatrielle, quoiqu'il y ait une sorte de composition entre eux et leur cause, et entre leurs puissances et leurs actes. (143)

L'univers a un ordre et une harmonie tout comme une ville sous un roi et ses divers officiers ou comme un animal avec des divers membres, et dans cette ordre d'obissance souvent les suprieurs sont au service des infrieurs, ce qui indique "une appartenance Dieu dans leurs tres mmes" (milk la-hu fī `ayn wujūd-hā). (144)

Il est invitable qu'il y ait ici un pouvoir spirituel courant dans tous les parties de l'univers, comme cela se trouve dans tous les parties d'un animal unique, un pouvoir qui lie les parties ensemble et les distingue l'une de l'autre. (145)

Plus tard, Ibn-Rushd clarifie sa position que le but principal de la motion des corps clestes est de ressembler Dieu (at-tashabbuh bi-llāh), et le but secondaire est d'assurer la vie ici-bas. (146) Ibn-Rushd croie que les corps clestes sont anims, parce qu'ils ont des motions qui ne sont pas uniformes, comme c'est le cas dans la motion naturelle. (147) Il explique que ces corps ne cherchent pas le dplacement comme tel, mais que "la motion est meilleure pour un corps que de rester immeuble." (148) Le systme d'Ibn-Rushd n'a pas de place pour des intelligences spares correspondantes chaque me cleste, mais Dieu est la cause finale dirigeant toutes les motions clestes. (149) Chaque me-intelligence est la fois un moteur ou cause active (fā`il) et une cause finale (ghāya) du mouvement de son propre corps cleste. (150)

Ibn-Rushd nie, contre Ibn-Sīnā, que les mes de ces corps aient une imagination ou d'autres sens mais, puisqu'elles doivent diriger la motion de leurs corps, elles doivent avoir une connaissance des ralits singulires; mais Ibn-Rushd dit que leur connaissance, comme celle de Dieu, n'est ni universelle ni singulire. (151)

Tandis que l'intelligence humaine est perfectionne par les formes intelligibles qu'elle acquiert, les intelligences spares sont les causes des formes existantes. (152) Quand Ibn-Rushd restreint la puissance passive (qubūl) la matire, (153) il ne se demande pas si les intellects angliques sont passifs. La passivit des choses matrielles n'exclut pas leur activit naturelle; ici il ne dit pas, comme Ibn-Sīnā, que la forme est un moteur instrument mais, comme Aristote, que le gnrateur est le moteur et l'action naturelle rsulte quand il n'y a pas d'impchement, juste comme celui qui a l'habitude de la science peut l'utiliser quand il veut. (154)

La causalit secondaire

Ibn-Rushd critique les Ash`arites pour leur ngation de la ncessit d'une certaine mesure (maqādīr) dans la cration. Celle-ci appartient l'univers partir de sa finalit (ghāya), ce qui exige un certain ordre par ncessit ou par convenance. Autrement "les quantits et les qualits des cratures dpendraient du caprice du crateur et n'importe qui pourrait tre crateur... Ceux qui ont voulu exalter le Premier Crateur l'ont priv de la sagesse et ni ce qui est le meilleur de ses attributs." (155) "Par l'apprhension de cette sagesse l'intellect est intellect dans l'homme; de mme son existence dans l'Intellect ternel est la cause de son existence dans les choses existantes." (156)

En niant toute causalit secondaire les Ash`arites enlvent tout l'ordre et la sagesse de Dieu dans le monde. Ils ont tort de restreindre tout agir (fi`l) Dieu parce qu'il est le seul qui est vraiment connaissant et libre, comme s'il n'y avait pas de vie dans la cration; d'ailleurs on s'gare en exigeant la connaissance comme pralable l'action et en niant la vraie causalit de la nature. (157) Pour leur confusion des critres humains et divins, Ibn-Rushd accuse les Ash`arites d'avoir "fait de Dieu un homme ternel et de l'homme un Dieu gnrable et corruptible." (158)

La ngation de la causalit naturelle enlve aussi les natures et dfinitions des choses, qu'on connat seulement par leurs actions et attributs propres. (159) "Celui qui enlve les causes enlve l'intelligence." (160)

L'argument du dessein

Dans le contexte de l'ordre de l'univers, Ibn-Rushd dit parfois que Dieu doit choisir ce qui est meilleur pour le monde. (161) Dans le mme contexte il passe souvent un argument pour l'existence de Dieu partir du dessein, la cinquime voie de Thomas d'Aquin. (162)

Cette preuve est dcisive et simple, comme il est vident par ce que nous avons crit. Elle est bātie sur deux principes reconnus par tout le monde. Le premier est que toutes les parties constitutives de l'univers sont ordonnes l'existence de l'homme et des autres choses terrestres. Le deuxime est qu'une harmonie de parties vers une seule action ou finalit est ncessairement l'oeuvre de quelqu'un. La conclusion naturelle de ces deux principes est que l'univers est fabriqu (maṣnū`) et qu'il a un fabricateur. (163)

2.1.10 Moshe ben Maimon

Pour Moshe ben Maimon, le monde, qu'il soit ternel ou non, exige un crateur. L'ternit du monde n'est pas ncessaire. Elle ne peut pas se dmontrer ni tre dclare impossible.

Pour prouver l'existence de Dieu, Moshe ben Maimon attaque les thologiens musulmans (mutakallimūn) qui essaient de le faire partir de la supposition que le monde a eu un commencement temporel. Les philosophes qui pensent que l'ternit du monde est ncessaire et aussi les thologiens qui pensent qu'elle est impossible ont tous tort. (164) "La question si le monde a un commencement ou non ne peut pas se rsoudre par une preuve dcisive." En tout cas, un argument qui admet la possibilit que le monde n'a pas eu un commencement est plus fort qu'un argument qui nie cette possibilit. (165)

Aprs avoir examin les principes des thologiens musulmans, Moshe ben Maimon conclut qu'ils sont incapables de rien dterminer sur Dieu cause de leurs fondements philosophiques faux. (166) Pour ce qui regarde les philosophes, il soutient que les arguments d'Aristote pour la pr-ternit du monde ne sont que dialectiques, et non dcisives comme al-Fārābī le pensait. (167)

Moshe ben Maimon essaie de prouver l'existence de Dieu partir du mouvement. Comme les philosophes arabes, il accepte le systme grec d'un monde gocentrique entour de plusieurs sphres clestes. Au-del des sphres se trouve Dieu, et chaque sphre est anime par une intelligence qui assure la permanence du mouvement de la sphre et gouverne la sphre infrieure. Dans son systme cosmologique il y a au moins dix-huit sphres. Si elles s'arrtaient de tourner, tout ce qui est ici-bas mourraient, tout comme un animal meurt quand son coeur s'arrte de palpiter. (168) Les sphres clestes tournent par les intelligences qui les animent, et finalement par un moteur immobile qui est responsable pour le systme entier. (169) Il y a plus de cinquante intelligences qui meuvent les sphres cause de leur dsir de ressembler Dieu (at-tashabbuh bi-llāh). Parmi ceux-ci, l'intellect agent lunaire donne l'existence aux formes des choses matrielles et aussi aux formes intelligibles dans l'intellect humain. (170) L'intellect agent par sa nature est toujours manant (tafīḍ). Son effet dpend de la disposition du recevant. (171)

Moshe ben Maimon propose aussi l'argument de la contingence, adoptant (sans l'avouer) la distinction d'Ibn-Sīnā entre l'existant ncessaire et l'existant possible. Ce dernier est possible en lui-mme, mais ncessaire par rapport sa cause. (172) Dans toutes les choses cres l'existence est distincte ou additionnelle (zā'id) l'essence; l'existence et l'unicit sont accidentelles l'essence. (173)

Ailleurs il propose un argument du dessein. Une opinion commune veut que toute la cration matrielle semble tre ordonne au bien de l'homme, et que l'homme soit ordonn au culte de Dieu. Moshe ben Maimon est prt accepter cette perspective, mais il suit les philosophes avec cette exception que le suprieur (les corps clestes) n'est pas cr pour server l'infrieur (l'homme). La survie de l'homme n'est qu'un but adjoint des corps clestes, et on ne peut pas assigner un but gnral pour la cration de ces corps ou de l'homme autre que la volont libre de Dieu. (174)

Un principe fondamental de la thologie de Moshe ben Maimon est que notre connaissance de Dieu n'est que ngative; la seule chose positive que nous pouvons connatre est le fait de son existence (anniyya). (175) Mais il dit, aprs une longue discussion sur le nom de "Yahweh", que ce nom signifie "l'existant ncessaire" (176) Pour l'ternit de Dieu, Moshe ben Maimon rejette le terme qadīm, parce que pour lui ceci signifie exister dans le temps sans commencement, tandis que Dieu est au-dessus de tout temps. (177)

Quant aux attributs positifs, il affirme que Dieu est un Intellect identique avec lui-mme comme objet de connaissance. (178) En tout cas, tous les attributs de Dieu sont une seule ralit. En soutenant ceci, il attaque aussi la Trinit chrtienne. (179) Faisant cho la controverse Ash`arite-Mu`tazalite sur la cration du Qur'ān et aussi la divinisation par Ibn-Gabirol du Verbe ou de la Volont, Moshe ben Maimon dclare que le Verbe de Dieu et la Torah sont de simples cratures. (180)

Quant la cration, Moshe ben Maimon vite le terme `illa (cause), qui semble impliquer la causation par la ncessite naturelle, et il prfre le terme fā`il (agent) lequel, dit-il, peut se dire lgitimement de Dieu mme avant que l'effet n'existe, puisque il n'y a rien qui peut l'empcher d'agir. (181)

A l'objection que de commencer de crer impliquerait un changement en Dieu, Moshe ben Maimon rpond que Dieu ne peut changer parce qu'il est immatriel, et que la potentialit ne se trouve que dans la matire. Il continue dire que Dieu est toujours en acte, mais qu'il n'est pas toujours agissant, tout comme l'Intellect Agent. En accord avec son principe que nous ne pouvons rien connatre de positif sur Dieu, Moshe ben Maimon vite de sonder cette question plus profondment, en disant que "l'agir" et "le vouloir" s'appliquent qivoquement Dieu et l'homme. (182)

En dpit du manque de preuves pour l'ternit ou non-ternit du monde, Moshe ben Maimon argumente que la cration dans le temps manifeste mieux la libert du choix de Dieu; et il ajoute que la varit des toiles et des mouvements clestes ne peut pas s'expliquer par une ncessit intrinsque. (183)

Quant la relation de Dieu aux cratures, Moshe ben Maimon appelle Dieu, quoique spar du monde, "la forme ultime du monde" (aṣ-ṣūra al-akhīra li-l-`ālam) ou "la forme des formes", puisque sans lui les autres formes n'existeraient pas. (184) Il est pareillement "le but des buts" (ghāya al-ghāyāt).

La matire est bonne, mais le mal est une privation produite par hasard. (185) Moshe ben Maimon combat la notion commune que le mal est plus rpandu que le bien; cette opinion vient parce que les gens considrent leurs interts personels et non ceux de Dieu. Le mal est de trois sortes: (1) ce qui provient de causes naturelles, parce que la matire est sujette la gnration et la corruption, (2) ce qui provient des autres hommes, (3) ce qui provient de l'homme lui-mme, et qui cause les maladies corporelles et psychiques. Les habitudes morales (akhlāq) ont un composant corporel et les deux changent ensemble. (186)

2.1.11 Thomas d'Aquin

On trouve dj les "cinq voies" de Thomas d'Aquin chez les philosophes arabes. Entre les cosmologies un peu diffrentes de chacun des philosophes, Thomas est plus proche de celle d'Ibn-Rushd, qui simplifie le nombre d'esprits clestes. Toutefois Thomas dit que c'est peu probable que les corps clestes soient anims. Thomas accepte tout le systme des moteurs spirituels de ces corps, ce qui s'est affondr depuis qu'on a dcouvert que les corps clestes ne sont pas incorruptibles et que s'applique eux la mme inertie (ou impetus thomasien) qui gouverne les corps terrestres.

Quant l'ternit du monde, comme Moshe ben Maimon, Thomas dit qu'on ne peut dmontrer ni sa ncessit ni son impossibilit. Contre l'objection d'Ibn-Sīnā et d'Ibn-Rushd que toute possibilit doit se trouver dans un sujet existant, Thomas affirme que la puissance de Dieu s'tend tout tre qui n'implique pas une contradiction de termes. (187)

L'emprunt le plus important aux philosophes arabes est la reconnaissance explicite d'une distinction relle entre essence et existence en dehors de Dieu, et ausse que chaque chose dpend d'une cause extrieure pour la continuation de son existence. Mais Thomas a raffin cette distinction, rejettant l'ide de Miskawayh (moins claire chez Ibn-Sīnā) que l'existence soit un accident, et montrant que son rapport l'essence est celui d'acte la puissance. Thomas a aussi insist que cet acte d'existence dpend immdiatement de Dieu, et donc qu'il n'y a pas d'intermdiaires dans la cration, comme dans le systme d'al-Fārābī et Ibn-Sīnā.

2.2 La connaissance par Dieu des singuliers

2.2.1 Al-Fārābī

Est-ce que Dieu connat ses cratures? Al-Fārābī fut accus de nier que Dieu connat les singuliers. (188) Dans les crits qui nous sont parvenus, al-Fārābī ne dit rien de pareil. Dans la discussion de cette question dans ses livres de politique, il se restreint dire que Dieu se connat soi-mme, que cela est sa batitude, et que son intelligence ne peut pas tre perfectionne par l'intellection des choses hors de lui-mme. (189)

Mais par la logique de son no-platonisme al-Fārābī devrait admettre que, puisque Dieu est immatriel, il connat seulement la nature gnrale des choses matrielles, et non les individus particuliers, comme un homme et ses actions. Ces choses ne peuvent tre connues que par les sens.

2.2.2 Ibn-Sīnā

Dans sa Risāla az-ziyāra wa-d-du`ā' Ibn-Sīnā dit tout simplement:

Le principe premier influence tous les existants sans exception, et sa connaissance comprhensive d'eux est la cause de leur existence, et que "pas mme le poids d'un atome ne lui chappe" (Qur'ān 10:61).

Ailleurs il explique que Dieu se connat lui-mme ainsi que tous les dtails de la cration parce qu'il en est la cause et que leur existence vient de lui. (190) Les changements dans le monde n'impliquent aucun changement dans la connaissance de Dieu, qui est universelle et infinie, au-dessus du pass, du prsent et du futur; c'est ainsi qu'il connat tout ce qui arrive et quel moment. (191) D'autre part, Ibn-Sīnā affirme qu'il y a des rapports adjoints (iḍāfāt) la connaissance de Dieu et qui changent avec les changements dans le monde. Il explique "qu'il est admissible qu'un accident distant n'influence pas l'essence". (192) Cette hypothse est un compromis en ce qui concerne l'unit de Dieu.

En tout cas, Ibn-Sīnā affirme le principe islamique qui tait la base de sa vie sūfique, que Dieu est le principe de toute chose et qu'il est plus proche d'elle que n'importe quel intermdiaire, (193) et qu'il connat toute chose par son essence. (194) Nanmoins, il dit que Dieu connat toutes choses "d'une faon universelle", et les particuliers en tant qu'ils ont des formes. (195)

Pourquoi alors, al-Ghazālī accuse-t-il Ibn-Sīnā d'avoir enseign que Dieu ne connat pas les singuliers? (196) C'est peut-tre parce que dans la logique du no-platonisme la causalit de Dieu est mdiate, oprant travers l'intelligence premire spare et les intelligences des sphres. Il devrait connatre les effets singuliers dans leurs causes, et non en eux-mmes.

2.2.3 Ibn-Gabirol

Ibn-Gabirol ne parle pas directement de la connaissance par Dieu des singuliers, mais il nonce un principe qui l'exclurait, disant que l'intellect connat la forme directement, et la matire seulement travers les sens. (197)

2.2.4 Ibn-Rushd

Quant cette question de la connaissance, Ibn-Rushd, comme al-Fārābī, affirme d'abord que "si Dieu connaissait toutes choses il serait altr par ce qui est infrieur lui." (198) Puis il dit:

Il connat la nature de ce qui existe par ce qui existe absolument, c'est--dire son essence... Cela est parce que sa connaissance est la cause de l'existence, tandis que l'existence est la cause de notre connaissance. La connaissance de Dieu n'est pas caractrise ni par l'universalit ni par la particularit. Car celui qui a une connaissance universelle n'a qu'une connaissance potentielle des choses actuelles... mais il n'y a pas de puissance en sa connaissance. Donc sa connaissance n'est pas universelle. Il est encore plus vident que sa connaissance n'est pas particulire, parce que les choses particulires sont infinies, et que la connaissance ne peut pas les contenir. Dieu ne peut non plus tre caractris par la connaissance que nous avons, ni par l'ignorance qui lui correspond... (199)

On peut comparer ce passage avec les textes de Thomas d'Aquin qui distinguent l'imperfection de la connaissance universelle des hommes et la perfection de la connaissance anglique et divine qui est d'autant plus parfaite qu'elle est plus simple et universelle. Pareillement on peut lire comment Thomas d'Aquin explique que Dieu connat une infinitude de choses possibles.

Dans le Tahāfut Ibn-Rushd dit que "le Premier ne connat que son essence... et il la connat en tant qu'il est la cause de tous les existants." (200) Il connat non seulement ce qui procde immdiatement de lui, mais aussi ce qui procde de lui par des intermdiaires. (201) Les formes ont leur existence infime dans la matire; elles ont une existence progressivement suprieure quand elles sont dans les sens, dans l'intelligence humaine, dans l'intelligence anglique; leur existence parfaite se trouve dans l'intelligence de Dieu qui connat tout. (202)

Rpondant la question comment Dieu peut connāitre une pluralit ou mme une infinit de choses sans qu'il y ait de composition dans sa connaissance, Ibn-Rushd reprend l'affirmation que la connaissance de Dieu est compltement actuelle et qu'elle n'est caractris ni par l'universalit ni par la particularit. Il dit ensuite que "parler du comment (takyīf) de cette connaissance et la concevoir selon sa ralit est dfendu l'intellect humain, parce que si l'homme comprenait cela il connatrait l'intellect du Crateur, et cela est impossible." (203)

Le mme refus de "dire le comment" pousse Ibn-Rushd rejeter la position des Ash`arites que Dieu connat le temporel par une connaissance ternelle; telle qu'ell a t propose, cette position ne peut pas chapper l'implication d'un changement dans la connaissance de Dieu, selon que celle-ci correspond au pass, au prsent et au futur. (204) Les mmes inconvnients dcoulent d'un essai de qualifier la volont de Dieu comme ternelle, parce qu'un vouloir doit correspondre un effet actuel. (205)

2.2.5 Moshe ben Maimon

Moshe ben Maimon attaque Alexandre d'Aphrodisias pour avoir dit que Dieu ne connaIt pas les chose singulires en dehors de lui-mme, parce que (1) d'abord il ne possde pas des sens, (2) les choses singulires sont infinies, et l'infini n'est pas connaissable, et (3) les chose singulires changent constamment, mais la connaissance de Dieu ne peut pas changer.

Pour rpondre cette objection, Moshe ben Maimon montre d'abord que Dieu a sa providence pour les choses singulires; puis il conclut que Dieu les connat. Il affirme que la connaissance de Dieu est une, simple, ternelle et non-changeante. Il s'tend la privation (`adam), l'infini, et toutes les choses possibles, mme celles qui n'existeront jamais. Contrairement notre connaissance, la connaissance de Dieu prcde et est la cause de toutes les choses cres qu'il connat. Ainsi elle ne se multiplie pas par la multiplicit des choses qu'il connat, ni ne change comme elles changent. (206)

2.2.4 Thomas d'Aquin

On a vu que selon Ibn-Sīnā et mme Ibn-Rushd, Dieu devrait connatre les effets singuliers dans leurs causes et non en eux-mmes. Thomas d'Aquin considre cette opinion comme insuffisante et enseigne plutt que la connaissance de Dieu s'tend autant que sa causalit; et la puissance active de Dieu s'tend non seulement aux formes, mais aussi la matire, par laquelle les formes sont individualises. (207)



1. Al-qawl fī l-qudamā' al-khamsa; al-qawl fī l-hayūlā; al-qawl fī n-nafs wa-l-`ālam. Cfr. Aḥmad ibn-`Abdallāh al-Kirmānī, Kitāb al-aqwāl adh-dhahabiyya fī ṭ-ṭibb an-nafsānī, section 5; Abū-Ḥātim ar-Rāzī, Munāẓarāt.

2. Pp. 64-69

3. Khawāṣ al-ḥurūf., p. 109.

4. Risāla al-i`tibār, 71-72.

5. Khwāṣ al-ḥurūf, 76-77.

6. Pp. 76-78.

7. Risāla al-i`tibār, p. 72.

8. Khawaṣṣ al-ḥurūf, 77-81.

9. Pp. 87, 92.

10. Une exception est dans Iḥsā' al-`ulūm, ch. 4, p. 132.

11. Dans le dbut de ses ouvrages principales: Mabādi' ārā' ahl al-madīna al-fādila et as-Siyāsa al-madaniyya.

12. Ta`līqāt, n. 7.

13. Falsafa Arisṭūṭālīs, n. 33-34.

14. Cfr. J. Kenny, "Al-Fārābī and the contingency argument for God's existence: a study of Risāla Zaynūn al-kabīr al-yūnānī.

15. Mabādi' ārā', 2-3, as-Siyāsa al-madaniyya, 43:10.

16. As-Siyāsa al-madaniyya, 44:6; cfr. Mabādi' ārā', 4-5; Zaynūn al-kabīr al-yūnānī, 2; ad-Da`āwī al-qalbiyya etc.

17. Mabādi' ārā, 7, et as-Siyāsa al-madaniyya, 52:5; ad-Da`āwī al-qalbiyya etc.

18. Loc. cit.

19. Comme ad-Da`āwī al-qalbiyya.

20. Jam bayn ra'yay al-hakīmayn Aflātūn al-ilāhī wa-Aristūtālīs, 22:4-26:12.

21. Cfr. Sharḥ risāla Zaynūn al-kabīr al-yunānī, ch. 3 et ailleurs.

22. Ibid., 10. Voir aussi as-Siyāsa al-madaniyya, 52:5-53:10; Risāla fī l-`aql, 50-53.

23. As-siyāsa al-madaniyya, 55:3.

24. Cfr. Iḥṣā' al-`ulūm, ch. 5, p. 121; et ailleurs.

25. Iḥṣā' al-`ulūm, ch. 4, p. 122.

26. Pp. 44-48.

27. Risāla fī jawhar an-nafs, p. 197.

28. Al-Fawz al-aṣghar, p. 96-97.

29. Fī ithbāt aṣ-ṣuwar ar-rūḥāniyya fī l-`ulla al-ūlā, p. 202.

30. Pp. 38-32 (sic).

31. Ibid., p. 29.

32. Ibid., p. 23.

33. Al-Fawz al-aṣghar, p. 55.

34. Ibid., pp. 47-47, 54-57.

35. Ibid., p. 54-56.

36. Ibid., p. 60.

37. P. 41.

38. Ta`līqāt, p. 62.

39. Ta`līqāt, p. 36.

40. Cfr. `Uyūn al-masā'il, 3-5; Risāla ajwiba `an `ashar masā'il, n. 5, p. 80; Risāla tafsīr aṣ-ṣamadiyya (sūra 112), pp. 16-17; Risāla az-ziyāra wa-d-du`ā', p. 33; Kalimāt aṣ-ṣūfiyya, 161-165; Ta`līqāt, pp. 28, 162-163, 176-179.

41. P. 2.

42. P. 37.

43. Al-ilāhiyyāt, maqāla 8, faṣl 4.

44. Section 1.

45. Il fait la mme distinction dans Risāla tafsīr aṣ-ṣamadiyya (sūra 112), p. 22.

46. P. 28.

47. P. 86.

48. P. 150.

49. Ash-Shifā', al-ilāhiyyāt, maqāla 4, faṣl 2, pp. 177-178.

50. Ibid., p. 181.

51. Ta`līqāt, p. 62.

52. Cfr. Kalimāt aṣ-ṣūfiyya, 166.

53. `Uyūn al-ḥikma, 24 ff.

54. Ibid., 50.

55. P. 32.

56. Pp. 39-40.

57. P. 155.

58. E.g. ar-Risāla al-`arshiyya, p. 3; Ta`līqāt, pp. 37, 61, 181.

59. Fusūs al-hikma, 55; `Uyūn al-ḥikma, 51 ff.; Risāla tafsīr aṣ-ṣamadiyya (sūra 112), p. 19; Risāla al-`arshiyya, pp. 5-6; Risāla fī māhiyya al-`ishq, p. 7; Risāla fī tazkiya an-nafs, p. 392; Ta`līqāt, p. 49.

60. Ar-Risāla al-`irshiyya, p. 6.

61. Ta`līqāt, pp. 70, 80.

62. Cfr. `Uyūn al-masā'il, 7; Kalimāt aṣ-ṣūfiyya, 163-164; ar-Risāla al-`arshiyya, p. 15; le principe est cit pour distinguer les sens intrieurs en Risāla fī bayān al-mu`jizāt wa-l-karāmāt wa-l-a`ājīb, p. 402; Ta`līqāt, pp. 54, 99-101, 182-184.

63. Risāla fī ma`rifa an-nafs an-nāṭiqa wa-aḥwāli-hā, khātima; Risāla fī l-kalām `alā n-nafs an-nāṭiqa; sur l'animation des corps clestes, voir Risāla ajwiba `an `ashar masā'il, n. 4, p. 79.

64. Pour cela je considre comme inauthentique la Risāla fī l-ajrām al-`alawiyya, qui dit que Dieu cre toutes les mes (mme vgitatives et animales) sans intermdiaire (p. 44). Cet ouvrage diverge de l'enseignement d'Ibn-Sīnā en autres points aussi, en accusant de l'irrligion (ilḥā d) les philosophes qui soutienent la pr-ternit du monde (p. 44), et en affirmant que le mouvement circulaire des corps clestes est naturel (p. 45).

65. Voir surtout ash-Shifā', al-ilāhiyyāt, al-maqāla 9, al-faṣl 4, pp. 402-409; an-Najāt, pp. 302-303; Taqlīqāt, pp. 97-98, 152-156, 192-193.

66. Risāla fī ithbāt an-nubuwwāt, p. 53.

67. Cfr. `Uyūn al-masā'il, 6.

68. Risāla ajwiba `an `ashar masā'il, n. 5, p. 80.

69. Kalimāt aṣ-ṣūfiyya, p. 166.

70. Ar-Risāla al-`arshiyya, p. 14; Ta`līqāt, p. 113.

71. Ta`līqāt, pp. 50-57.

72. P. 172.

73. P. 82.

74. Ibid., p. 81-82; Ta`līqāt, p. 85, 131.

75. Ta`līqāt, pp. 84-86, 131-132.

76. Ta`līqāt, 62, 54, 80, 121, 180.

77. Ibid., p. 66-67, 103, 149 etc.

78. Ibid., p. 81, 100.

79. Ash-Shifā', as-Samā` aṭ-ṭabī`ī, pp. 330-331; cf. an-Najāt, p. 146.

80. Maqr ḥayyīm, 3:3:37-38; 5:27,39.

81. Ibid., Books 1 and 2, 3:39; book 4.

82. Ibid., 5:60.

83. Ibid., 5:62.

84. Ibid., 5:63-68.

85. Risāla al-wadā`, pp. 115-116; Min kalāmi-hi fī-mā yata`allaq bi-n-nuzū`iyya, p. 132-133.

86. Risāla al-wadā`, p. 129.

87. Cfr. Sharḥ as-samā` aṭ-ṭabī`ī.

88. ayy ibn-Yaqẓān, pp. 164-165.

89. Ibid., pp. 170-175.

90. Ibid., pp. 176-177.

91. P. 201.

92. P. 207.

93. Pp. 184-185.

94. Pp. 208-212.

95. I, p. 83; le mme argument, moins dvlop, se trouve en Talkhīṣ mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 124-125.

96. Manāhij al-adilla, p. 120.

97. Tahāfut, I, pp. 217-220.

98. I, pp. 128, 156-7, 223.

99. I, p. 130.

100. I, pp. 135-137.

101. I, p. 218.

102. I, p. 222.

103. II, p. 631.

104. Faṣl al-maqāl, pp. 49-51.

105. Jawāmi` as-Samā` a aṭ-ṭabī`ī, p. 41; Talkhīṣ as-samā` wa-l-`ālam, pp. 85-88, 161-190.

106. Jawāmi` as-Samā` a aṭ-ṭabī`ī, pp. 129-136.

107. Physics, IV, 11, 219b, 1-2.

108. Tahāfut, I, pp. 158-162; cf. Talkhīṣ mā ba`d aṭ-ṭabī`a, p. 125; Jawāmi` as-Samā` a aṭ-ṭabī`ī, pp. 42, 63.

109. II, p. 605.

110. Physics, IV, 4, 203b, 30.

111. I, pp. 125, 177-8, 189-193, 195.

112. I, pp. 182-183.

113. I, p. 184.

114. I, 184-185.

115. I, 226-229.

116. I, p. 259; II, pp. 617-618.

117. Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabi`a, p. 1592.

118. Ibid., pp. 1607-1613.

119. Ibid., pp. 1613-1624.

120. II, p. 682.

121. Manāhij al-adilla, pp. 70-76.

122. Tahāfut, I, p. 372, 477, 494, 515; Manāhij al-adilla, pp. 84-86; Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 1620-1623.

123. II, 556-557.

124. II, pp. 605-608.

125. Manāhij al-adilla, pp. 89-90.

126. Pp. 149-154.

127. P. 137.

128. I, pp. 294-299, 400-413.

129. Tafsīr mā ba`d at-tab`iyya, p. 1648.

130. Tahāfut, I, pp. 277, 281, 283, 330-332, 388; II, pp. 480-483, 516-17, 567-570, 572, 587-590, 602-604, 608; Manāhij al-adilla, pp. 57-58.

131. I, p. 330; cfr. p. 418.

132. II, p. 517.

133. I, p. 275.

134. I, p. 284.

135. I, p. 279.

136. II, p. 444-446.

137. II, pp. 448-451, 504-505, 602-604, 635-636, 640-641; Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 1632-1633.

138. II, pp. 428-429, 640-642.

139. Tahāfut, I, p. 335.

140. II, 592-594; cfr. pp. 529-530, 568-569; Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 1633, 1649-1651.

141. II, pp. 581-582; cfr. Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 1652-1653.

142. I, p. 392, 409; II, pp. 437-438; De substantia orbis, ch. 6.

143. I, pp. 334-335.

144. I, pp. 311-322, 376-380; cfr. Talkhīṣ ma ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 133-134, 138-139; Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 1709 ff.

145. II, p. 239.

146. II, p. 733-734; Talkhīṣ ma ba`d aṭ-ṭabī`a, p. 127.

147. II, p. 727-728; Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 1593-1598.

148. II, p. 727-728, 735-736, 744; Talkhīṣ ma ba`d aṭ-ṭabī`a, p. 137.

149. Talkhīṣ ma ba`d aṭ-ṭabī`a, p. 128.

150. Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, p. 1594.

151. II, pp. 746-763; Talkhīṣ ma ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 128, 136; Tafsīr mā ba`d aṭ-ṭabī`a, p. 1600.

152. I, pp. 357-358.

153. II, p. 710.

154. Cfr. Commentarium magnum in Aristotelis De physico auditu libros octo, Junctas, vol. 4, fols. 368a-371b.

155. II, p. 623; cfr. p. 787; Manāhij al-adilla, pp. 140-142.

156. II, p. 812.

157. I, pp. 362-364, 412-413; II, p. 440, 807.

158. II, p. 711.

159. II, pp. 721, 727, 781-784.

160. II, p. 785.

161. II, p. 647; Manājij al-adilla, p. 115.

162. II, p. 658.

163. Manāhij al-adilla, p. 110; cfr. 109-131; cfr. pp. 65-70, 77.

164. Dalāla al-ḥā'irīn, p. 273, 319.

165. Ibid., pp. 186-188.

166. Ibid., pp. 228,232.

167. Ibid., pp. 313-319.

168. Ibid., 190-193; cf. Mishna Tora.

169. Ibid., pp.273-277.

170. Ibid., p. 286.

171. Ibid., p. 411.

172. Ibid., pp. 277-283.

173. Ibid., 139.

174. Ibid., p. 509-520.

175. Ibid., pp. 140 ff.

176. Ibid., pp. 153-164.

177. Ibid., p. 140.

178. Ibid., pp. 171-174.

179. Ibid., pp. 119-130.

180. Ibid., p. 166.

181. Ibid., pp. 174-175.

182. Ibid., p. 325.

183. Ibid., pp. 328-347.

184. Ibid., p. 176.

185. Ibid., p. 496.

186. Ibid., pp. 500-508.

187. Summa theologiae, I, q. 25, a. 3.

188. Massignon cite Ibn-ad-Dā`ī et Ṣadrā Shirāzī qui affirment cela; cf. La passion d'al-Hallāj, p. 562, n.1; dition anglaise: vol. 3, p. 72, n. 134.

189. Mabādi' ārā', 5; As-siyāsa al-madaniyya, 45:11.

190. Al-Ishārāt, namaṭ 7, faṣl 15-18; `Uyūn al-ḥikma, 51; Ta`līqāt, pp. 28-29, 87, 97-98, 119-123, 158, 168.

191. Al-Ishārāt, namaṭ 7, faṣl 19-21; Ta`līqāt, pp. 66-67.

192. Ibid., namaṭ 7, faṣl 19.

193. Fuṣūṣ al-hikma, 56.

194. Ibid., 54.

195. Ash-Shifā', al-Ilāhiyyāt, 8:6, pp. 359-360.

196. Dans Tahāfut al-falāsifa, n 15.

197. Ibid., 5:13.

198. Tafsīr mā ba`d at-tab`iyya, 1697; voir toute la section pp. 1693-1708.

199. Ibid., p. 1708; cfr. Tahāfut, II, p. 567, 703.

200. I, p. 361; cfr. Talkhīṣ ma ba`d aṭ-ṭabī`a, pp. 142-144.

201. II, pp. 666-671.

202. Tahāfut, I, pp. 308-310, 374-376, II, pp. 704-705; The epistle on the possibility of conjunction with the active intellect, p. 38.

203. II, p. 535; cfr. Faṣl al-maqāl, pp. 48-49.

204. Manāhij al-adilla, pp. 77-78.

205. Ibid., pp. 79-80.

206. Dalāla al-ḥā'irīn, pp. 522-547.

207. Summa theologiae, I, q.14, a.11.