HISTOIRE DES DOMINICAINS EN AFRIQUE
Chapitre 1SÃO TOMÉ ET L'ANCIEN CONGO
En 1514, Léon X établit à Funchal, dans l'île de Madère, un diocèse dont la juridiction s'étendait à toutes les possessions portugaises, du Cap Bojador à l'Extrême Orient. Quatre ans plus tard, il accorda à l'évêque de Funchal, qui résidait à Lisbonne, un évêque auxiliaire pour Sâo Tomé et le Congo. En 1533, Clément VII fit de Sâo Tomé un diocèse à part entière, s'étendant de Cap Palmas à Cap Agulhas, la pointe sud de l'Afrique. En 1597, le diocèse de Sâo Salvador au Congo fut séparé de Sâo Tomé bien que les évêques de ce diocèse n'y résidassent presque jamais. Les dominicains furent associés par intermittence à l'histoire de ces deux diocèses.
La présence dominicaine dans l'île de São Tomé
En 1470, les Portugais découvrirent São Tomé et y établirent des colons et des esclaves. Les franciscains habitèrent l'île dès l'origine, (1) tandis que des prêtres afficains formés à Lisbonne y étaient envoyés en 1494. (2) Les augustins arrivèrent au début du seizième siècle. Ils y demeurèrent jusqu'à 1594 avant d'y revenir plus tard.
Le premier évêque, Mgr Diogo Ortiz de Vilhegas (1534-1540), était un prêtre diocésain. Il ne résida jamais dans son diocèse et fut transféré à Ceuta. Son successeur, le dominicain Bemardo da Cruz, ne s'y rendit pas non plus en raison de sa nomination, moins d'un an plus tard, comme recteur de l'université de Coïmbre au Portugal. Il n'en conserva cependant pas moins son titre d'évêque de São Tomé, tandis qu'un autre dominicain, João Baptista, était nommé évêque auxiliaire en 1542. (3) Peu de temps plus tard, ce dernier se rendit au Congo pour prendre la place de l'évêque auxiliaire Dom Henrique qui venait de mourir. Pendant ce temps un vicaire général s'occupait de São Tomé.
Bernado da Cruz donna finalement sa démission en tant qu'évêque de São Tomé en 1533. (4) L'année suivante, l'augustin Gaspar Cão fut nommé et il s'installa dans l'île pour y prendre ses fonctions. Ses conflits avec le gouverneur de l'île furent nombreux. Des plaintes amenèrent le pape à exiger un procès ecclésiastique à l'issue duquel l'évêque fut acquitté des charges portées contre lui. En 1571, Cão fonda un séminaire qui survécut jusqu'à sa mort en 1574. (5) Ṣ la même époque il envoya des augustins à Warri. Les jésuites furent aussi présents à São Tomé en 1570, 1604 et 1636. (6)
Ce fut sous l'autorité de Mgr Martinho de Ulhoa (1578-1591), un religieux de l'Ordre du Christ, que le séminaire fut rétabli en 1585, mais son successeur, le franciscain Francisco de Vila Nova (15931602), fit transférer le séminaire au Portugal en 1595 suite à une querelle avec les augustins au sujet de sa gestion. De toute manière, les Africains refusaient d'y inscrire leurs fils our tout autre membre de leur famille. (7)
A cette époque, les relations entre les Portugais et les Africains de São Tomé n'étaient pas des meilleures. En 1584 et 1593, les Noirs de l'intérieur s'étaient insurgés et il y avait aussi eu une révolte des esclaves en 1595. (8) En 1598, les Portugais entreprirent une guerre contre les Noirs dans l'intention de les éliminer. (9) De leur côté, les Portugais subirent une invasion hollandaise désastreuse en 1599.
Le successeur de Francisco de Vila Nova fut un dominicain de la province du Portugal, Mgr António Valente (1604-1609). Il avait été professeur de théologie morale et s'était embarqué pour São Tomé en avril 1605. (10) Ṣ son arrivée, il se plaignit aux autorités de Lisbonne de ce que les indemnités épiscopales avaient été suspendues à la mort de son prédécesseur et qu'il lui fallait aussi un soutien financier pour les frères affectés à son service. Le roi donna suite à ses demandes et il reçut les fonds nécessaires à l'envoi d'un prêtre dans l'île d'Annobon et de deux au Bénin et à Warri. Il devait s'assurer en particulier de la bonne exécution de l'envoi du prêtre de Warri. (11) On se souviendra que le prince de Warri, Dom Domingos, étudia à Lisbonne de 1600 à 1609. (12)
Il était aussi question d'établir un séminaire à São Tomé ou à Lisbonne, mais rien ne fut entrepris jusqu'à la mort Mgr Valente. (13) Un rapport financier établit que le diocèse de São Tomé comptait un archidiacre, un chantre, un économe, douze chanoines et assistants prêtres. En plus de la cathédrale, on dénombrait sept paroisses et un hôpital. (14)
Mgr Valente se plaignait de l'insécurité qui régnait dans l'île depuis l'élection du nouveau gouverneur, João Barbosa. Il regrettait aussi que le doyen Pero Fernandez Barbosa, le frère du gouverneur, utilisât son titre de sous-receveur apostolique pour saper son autorité et excommunier certains chanoines. Ces griefs déterminèrent l'évêque à rentrer au Portugal en 1607.
Mécontents de cette situation, les représentants de l'administration royale portugaise convainquirent le roi d'ordonner à Mgr Valente rentrer à São Tomé en compagnie d'un nouveau gouverneur. Le doyen reçut l'ordre de se montrer obéissant envers l'évêque tandis que ce dernier était enjoint de se montrer plus amène à l'égard de ses sujets. (15) Il revient à São Tomé en novembre 1607, en compagnie du nouveau gouverneur. (16)
Après la mort de Mgr Valente, sept années s'écoulèrent avant qu'on ne lui choisît un successeur, l'augustin Pedro da Cunha (1616-1622). Une autre révolte des Noirs fut jugulée l'année de son arrivée. (17) Selon la rumeur, il mourut empoisonné par les "nouveaux chrétiens", ces juifs ou musulmans convertis que l'on soupçonnait de forfaiture en métropole et dans les colonies, en 1632 . (18) Un nouvel évêque, António Nogueira de l'Ordre du Christ, fut nommé la même année, mais il ne se présenta jamais à son poste.
De 1641 à 1649, São Tomé fut occupé par les Hollandais. Lorsque l'île revint aux Portugais, l'Église catholique y reprit une existence normale quoique non dénuée de problèmes. Le seul développement notable au siècle suivant fut le travail des capucins. Ils firent arrêt dans l'île en 1639 alors qu'ils étaient en route pour une autre destination. Après 1685, ils utilisèrent l'église et l'hospice de San António comme base pour leurs missions dans les îles d'Annobon et de Principe et sur le territoire principal des royaumes de Warri, du Bénin, d'Ardra, de Ouidah, de Calabar et de Bonny.
Leurs maigres effectifs, des controverses avec les autorités civiles et diocésaines de São Tomé et les restrictions imposées aux étrangers par les Portugais entrainèrent leur départ en 1794. L'église survécut Comme lieu d'opération.
La première mission dominicaine au Congo
Durant son premier voyage à l'embouchure du fleuve Congo en 1482, Diogo Cão avait prit contact avec des représentants ou des vassaux du roi du Congo et reçut l'autorisation de ramener avec lui au Portugal quatrejeunes Congolais. Ils y reçurent une éducation, y furent baptisés et revinrent avec Cão lors de son second vo age en 1490. Leurs familles au Congo, qui avaient perdu tout espoir de jamais les revoir, furent ravies de leur retour. Pour cette raison les Portugais et leur religion furent dorénavant bien accueillis. Avec Cão arriva un certain nombre de dominicains qui enseignèrent leur foi avec l'aide des jeunes gens de retour. (19)
Mpinda, la ville située à l'embouchure du fleuve Congo où Cão avait débarqué, était sur le territoire de Sonyo dont roi (mani) était le vassal du mani-Congo situé.plus à l'intérieur des terres. Selon João de Barros, le chef de la mission était le frère João un dominicain, (20) mais Rui de Pina prétend que le chef était en fait le frère Joham, (une variante de João), un franciscain, alors que Jorge Cardoso et Francisco de Santa Maria déclarent que les missionaires étaient les chanoines de saint Jean l'évangéliste d'Azuis. (21) Le dimanche de Pâques, 3 avril 1491, ce prêtre baptisa le mani-Sonyo, qui prit le nom de Manuel et son fils, qui prit celui d'Antóno. Un groupe accompagné du frère João partit en ambassade dans la capitale du Congo, qu'i reçut plus tard le nom de São Salvador. C'est ainsi qu'eut lieu, le 3 mai 1491, le baptême du mani Nzinga Nkuwu (?-1506) qui prit le nom de João, suivi plus tard par celui de son épouse qui prit le nom de Leonor en honneur du roi et de la reine du Portugal.
Peu de temps après, le fils du roi Mveniba Nainga, qui était le mani de Nsundi fut baptisé à son tour et prit le nom d'Afonso. Aux alentours de 1493 le roi João, irrité par les prêches l'enjoignant à ne garder qu'une seule femme, reprit plus en plus souvent ses pratiques animistes d'autrefois, tout en conspirant avec son fils non-chrétien, Panso Akitimo, pour s'opposer au christianisme. Celui-ci n'en continua cependant pas moins de se répandre dans Sonyo et Nsundi, où les manis conservèrent leur foi. Le roi mourut vers 1506. La reine Leonor dissimula sa mort jusqu'à ce que son fils Afonso pût venir de Nsundi et rentrer secrètement dans la capitale. Une fois arrivé, il rejoignit ses partisans et, se recommandant du nom de Jésus et de l'apôtre Jacques (Santiago), triompha de son frère Panso Akitimo qui avait encerclé la ville avec sa vaste armée. C'est ainsi qu'il devint roi.
Davantage de prêtres vinrent sous le règne d'Afonso Ier, en particulier quelques franciscains en 1504, 1509, 1511 et 1514, quelques chanoines de saint Jean l'Évangéliste d'Azuis en 1508 et quelques chanoines augustins de saint Ëloi en 1514. Le projet d'établissement d'une école de garçons ne fut pas réalisé immédiatement. Certains des garçons furent envoyés au Portugal pour y être scolarisés. Comme certains se montraient laxistes dans leurs études, Alfonso écrivit au roi Manuel du Portugal pour lui demander de punir les fautifs sans cependant les renvoyer. (22) De son côté, Afonso avait à se plaindre des fonctionnaires et des commerçants portugais au Congo et à São Tomé qui outrepassaient leurs droits et réclamaient le monopole de certains secteurs commerciaux. (23) Il se plaignait aussi de il avarice de certains missionnaires. (24)
En 1515, Afonso envoya une ambassade au pape Jules II. En 1518, Léon X accepta d'ordonner le fils du roi, Henrique, comme évêque. Āgé de vingt-quatre ans, Dom Henrique avait été éduqué par les chanoines augustins de saint Éloi à Lisbonne. Le pape signifia que l'ordination d'un évêque a un si jeune âge était tout à fait exceptionnelle et qu'on devrait adjoindre à Dom Henrique des théologiens et des chanoines connaissant le droit pour le conseiller.
Après son ordination en 1520, le jeune prélat rentra dans son pays pour y exercer les fonctions d'auxiliaire de l'évêque de Funchal et d'évêque titulaire d'Utica, une ville située au nord de Carthage en Tunisie où un évêque avait siégé autrefois. Il était surchargé de travail si bien qu'en 1526 Afonso rédigea plusieurs missives au roi João III du Portugal pour lui demander l'aide de cinquante prêtres et six chanoines augustins de saint Éloi. (25) Mais le Portugal ne disposait pas d'autant de prêtres.
La même année, Afonso écrivit de nouveau à João III pour l'informer que l'évêque africain n'allait pas bien. Il lui demanda d'envoyer deux de ses neveux après leur avoir conféré le titre d'évêque afin que ceux-ci pussent aider Dom Henrique et conférer l'ordination à des prêtres congolais. (26)
Dom Henrique mourut en 1530 sans que la requête d'Afonso fUt satisfaite. Aucun autre Africain ne fut nommé évêque jusqu'à la consécration de Joseph Kiwanuka comme évêque de Masaka en Ouganda en 1939.
Afonso mourut en 1543. Son fils Pedro lui succéda mais il fut renversé l'année suivante par son neveu Diogo.
En septembre 1542, le dominicain portugais Joâo Baptista fut nommé auxiliaire de l'évêque de São Tomé Bernardo da Cruz et évêque titulaire d'Utica. Diogo Ier (1545-1561) reçut lesuccesseurde Dom Henrique et celui-ci ouvrit un prieuré à Sâo Salvador pour les dominicains africains, (27) mais il tomba bientôt en disgrâce. En 1546 et 1547, le roi Diogo se plaignît à Diogo Gomes, un dominicain portugais né au Congo qui était son confesseur tout en étant ambassadeur du Portugal, de ce que l'évêque se montrait arrogant et qu'il n'était pas impossible que João Baptista envoyât de mauvais rapports contre lui au Portugal. (28) En 1547, le roi Diogo écrivit au roi Joâo II du Portugal pour l'informer qu'il avait renvoyé l'évêque. (29)
La deuxième mission dominicaine au Congo
En 1569, Álvaro Ier fut chassé de sa capitale par les Yakas, qui s'emparèrent de la majorité de ses territoires. Le gouverneur portugais de São Tomé l'aida à se débarrasser des envahisseurs et à fortifier São Salvador. Quatre dominicains arrivèrent avec le gouverneur en 1570 pour aider à redévelopper le christianisme dans le royaume reconquis: Alvaro da Gram, Fernando Machado, Diogo dos Martyres et le frère convers Gonçalo Moreira. Après avoir travaillé pendant quelque temps à Luanda, principalement pour les Portugais puisque la guerre faisait rage dans les campagnes, ils se.rendirent au Congo où régnait la paix.
L'un d'entre eux se trouvait avec le duc de Sunde lorsque son territoire fut envahi par une armée ennemie. Voyant que le duc tremblait de peur, il sortit son crucifix, le brandit et cria bien haut pour que tout le monde puisse l'entendre: "Voici l'image du Christ en croix que vous reconnaissez comme votre Dieu. C'est lui votre capitaine et votre bannière!" Il se précipita ensuite sur l'ennemi, suivi du reste des troupes, si bien qu'il mit les forces ennemies en déroute bien que celles-ci aient été supérieures en nombre.
Les frères Alvaro et Gonçalo moururent après un fi-uctueux travail d'évangélisation. Les deux autres rentrèrent chez eux épuisés et rejoignirent bientôt leurs compagnons dans la mort. (30)
L'Espagne ayant annexé le Portugal en 1580, des religieux espagnols fûrent autorisés à se rendre dans les zones portugaises. En 1584, trois carmes déchaussés arrivèrent au Congo en passant par Luanda. A São Salvador ils rencontrèrent quatre prêtres, les seuls dans tout le royaume, en qui il faut probablement reconnaître les dominicains de la mission de 1570. Le roi Álvaro les accueillit, déclarant que les religieux européens qui étaient venus au Congo avant eux avaient laissé la marque de leur sainteté au nord de l'équateur. Ils rentrèrent en Espagne en 1589 pleins d'enthousiasme pour recruter d'autres carmes, mais le nouveau chef de la province ne voulut pas entendre parler des missions. Le projet n'alla pas plus loin au grand désappointement du roi Álvaro. (31)
L'un des carmes, Diego del Santisimo Sacramento, se plaignit des Blancs vivant au Congo "qui possèdent plus de mille esclaves noirs, qui tout au long de l'année ne leur donnent même pas une bouchée de pain et les envoient dans les champs comme du bétail pour qu'ils se multiplient." (32) On ne s'étonnera pas d'apprendre que la gratitude du roi Álvaro envers les Portugais pour l'aide que ceux-ci lui avaient autrefois apportée contre les Yakas s'était réfroidie et qu'il était soupçonné d'aider le roi, d'Angola dans sa résistance aux Portugais." (33)
L'un des envoyés d'Álvaro à Rome, le Portugais Duarte Lopes, rédigea une description du Congo qui fut publiée en 1591, traduite en de nombreuses langues et largement difflusée, préparant ainsi la voie pour la création du diocèse de São Salvador en 1595. Álvaro mourut en 1587 et son fils Álvaro II lui succéda.
Álvaro II (1587-1614) encouragea le développement de l'Eglise catholique et accueillit les jésuites qui lui rendirent visite en 1587, (34) mais certains rapports datant de 1591 font part des soupçons provoqués par ses sympathies pour le roi de l'Angola. (35) En 1595, l'ambassadeur d'Álvaro à Madrid se plaignit des Portugais qui achetaient des esclaves congolais. (36) Álvaro pouvait se permettre d'observer une politique indépendante de l'Espagne et du Portugal parce que le livre de Duarte Lopes et la correspondance personnelle du roi avec le pape avaient encouragé un lien avec Rome qui se développa bientôt en une véritable alliance, au grand dam de l'Espagne et du Portugal.
Le premier bénéfice de cette alliance fut la création en 1595 du diocèse de São Salvador séparément de celui de São Tomé. Cependant, le roi d'Espagne et du Portugal insista pour avoir et obtint un droit de patronage (padroado) sur le nouveau diocèse. Le premier évêque, le franciscain portugais Miguel Rangel Homem, arriva en 1599 et mourut en 1602. Le doyen du chapitre diocésain était un homme qu'Álvaro n'aimait pas. Il géra le diocèse jusqu'à la nomination d'un dominicain portugais, António de Santo Estêvão, en 1604. Pour s'assurer que celui-ci réside à son poste, le roi du Portugal rendit le paiement de son salaire tributaire de sa présence dans le diocèse. (37)
Cette nomination eut lieu avant que les envoyés d'Álvaro n'arrivassent à Rome pour y déclarer que le roi aurait préféré que l'évêque ne fût pas portugais. Dans les instructions qu'il confia à son ambassadeur, le Congolais Antônio Manuel, Álvaro se plaignait aussi des attaques des Portugais contre les mines congolaises et il posait la question fondamentale de savoir si le roi de l'Angola devait être dépossédé de son royaume pour laisser place à l'expansion portugaise et à l'exportation des richesses du pays. (38) En 1605, l'ambassadeur d'Álvaro à Madrid, Diogo Gonçalves Manuel fut suspendu dans l'exercice de ses fonctions sacerdotales pour avoir trop vivement exprimé les sentiments de son roi. Ignorant sa suspension qu'il considérait comme injuste et non-avenue, il fut emprisonné et, selon les ordres du roi Philippe III d'Espagne, condamné à l'emprisonnement dans un monastère ou à l'envoi aux galères. Ses documents diplomatiques lui furent confisqués. (39)
António Manuel, l'ambassadeur d'Álvaro auprès du pape, arriva couvert de blessures à Lisbonne en 1605 après avoir été capturé en mer par des pirates hollandais. En Espagne, il demanda l'envoi au Congo de carmes déchaussés et de dominicains et il demanda que Jerónimo de Almeida fût rétabli dans son poste de gouverneur de Luanda parce que le gouverneur actuel se montrait hostile au roi du Congo. (40)
Le conseil du roi d'Espagne décida que les dominicains pourraient se rendre au Congo mais pas les carmes espagnols parce que le conseil du Portugal n'y voulait pas de religieux non-portugais. La raison qu'ils donnèrent au pape était que les carmes risquaient de ne pas s'entendre très bien avec les dominicains. Quant à l'intention de l'ambassadeur congolais de poursuivre son voyage vers Rome, le conseil souligna que les précédents ambassadeurs du roi du Congo s'étant plaint au pape et ayant soulevé des questions, le représentant de l'Espagne et du Portugal à Rome devait contrôler tous les documents de l'ambassadeur congolais avant qu'il ne les remette au pape. De plus, ce représentant devrait garder si possible ces documents et s'entretenir lui-même avec le pape pour ce qui concernait les intérêts du Congo. (41)
António Manuel arriva finalement à Rome le 2 janvier 1608. Malade et épuisé, il mourut à l'âge de trente-trois ans, trois jours après son arrivée. Le pape Paul V s'occupa personnellement de lui et resta à ses côtés lors de sa mort. Il fut enterré à la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Un monument fut érigé en son honneur dans la sacristie de cette église.
Á la même époque, en octobre 1607, Mgr António de Santo Estêvão de São Salvador demanda la permission de prendre sa retraite parce que sa santé n'était pas bonne et qu'il pensait avoir été empoisonné. (42) Il mourut en avril 1608. (43) En 1609, le franciscain portugais Manuel Baptista Soares fut nommé à sa place.
La troisième mission dominicaine au Congo
Malgré les protestations répétées des Portugais, Paul V satisfit à la requête du roi Álvaro telle qu'elle était formulée dans les documents de l'ambassadeur et ordonna l'envoi au Congo de carmes déchaussés espagnols. Cependant, par l'intermédiaire de leur représentant auprès du Saint-Siège José de Melo, les Portugais firent pression pour envoyer des dominicains portugais à leur place comme le roi Álvaro l'avait demandé. (44) Le Portugal, devenu plus puissant et presque indépendant de l'Espagne, empêcha les carmes de partir, au grand mécontentement du pape et du cardinal Scipione Borghese. (45)
Quatre dominicains partirent : Lourenço da Cunha, le chef du groupe, Fernando do Espiritu Sancto, Gonçalo de Carualho et le frère convers Domingos da Annunciação. Ils quittèrent Lisbonne le 25 mars 16 10 et arrivèrent à Luanda le 3 juillet. Le 16 septembre, ils partirent de Luanda pour se rendre à Rio Dande et ils eurent une réception chaleureuse à Bamba. En route pour São Salvador, les porteurs qui les accompagnaient se mirent en grève, leur causant bien des infortunes. Ces malheurs furent compensés par la réception amicale que leur réserva le roi à leur arrivée. Il leur avait fait construire une église ainsi qu'une maison et pourvut à tous leurs besoins.
Bien que la majorité des habitants aient été baptisés et fussent catholiques, les dominicains furent horrifiés par leur ignorance de la foi, l'emprise qu'avaient sur eux les pratiques de la religion traditionnelle et la désinvolture avec laquelle les hommes changeaient d'épouses. Pour réformer cette situation, ils établirent une confrérie du Rosaire, tout en prêchant contre les abus qui viennent d'être mentionnés.
Au début, cette démarche donna de bons résultats mais les dominicains perdirent bientôt le soutien du roi Álvaro. Selon les frères, leur disgrâce était due à un prêtre créole jaloux de leurs succès parce qu'il n'avait lui-même reçu aucune éducation et possédait une morale très aléatoire. Dépourvus du soutien royal, ils furent réduits à mendier pour pourvoir aux nécessités de leur existence. Après la mort de deux frères, le chef du groupe, qui souffirait d'une mauvaise fièvre, décida de se retirer. Il rentra au Portugal par Luanda et par le Brésil et devint plus tard supérieur à Montemór o Novo au Portugal. (46)
La version du roi Álvaro est consignée dans la lettre qu'il adressa au pape par l'intermédiaire de Juan Baptista Vives, un prêtre espagnol qui était son ambassadeur permanent depuis 1613 auprès du Saint-Siège. Dans cette lettre, il se plaignait des Portugais en général et de l'évêque de Sâo Salvador en particulier. Selon lui l'évangélisation était dans une impasse et les quelques prêtres existant ne s'y intéressaient pas. Il déclarait que les deux dominicains "ne produisaient rien, se mêlaient d'affaires qui ne concernaient ni leur mission ni leurs obligations et ne répondaient pas au désir du roi." Il demandait à nouveau l'envoi de carmes déchaussés. (47)
Après la mort d'Álvaro, en août 1614, les négociations furent suspendues et le demi-frère du roi, Bernardo II, poursuivit ses récriminations. Il fut renversé et tué en août 1615. Alvaro III, fils d'Álvaro II, lui succéda. (48)
Conclusion
La suite de l'histoire de l'Église dans l'ancien Congo est des plus intéressantes mais elle ne concerne pas la présence dominicaine. Pendant de nombreuses, années, les capucins aidèrent le clergé diocésain à la survie de l'Eglise jusqu'à ce que la révolution de 1834 au Portugal mît un terme au travail des missionnaires et des divers ordres religieux. Luanda, qui avait toujours bénéficié de la présence des ordres religieux, resta sans évêque pendant vingt ans après 1826.
1. Antônio Bràsio, Monumenta Missionarla Africana. Aftica Occidental, 11 tomes, Lisbonne, 1952-197 1. Ici: I, p. 163.
2. MMA, IV, p. 18.
3. p. 117, V, p 64-90, 81, 94-85,96, 87, 88-99.
4. MMA, IV, p. 207.
5. MMA, III, p. 52, 76.
6. MMA, III, p. 3 ; V, p. 94 ; VIII, p. 373.
7. MMA, III, p. 569, 314, 492.
8. MMA, III, p. 271, 461, 484.
9. MMA, III, p. 594.
10. MMA, V, p. 46, 49, 96-101, 107-9, 119-20, 131, 133.
11. MMA, V, p. 186-7.
12. Cf. Joseph Kenny, The Catholic Church in Tropical Africa, 1445-1850, Ibadan University Press, 1982, p. 48-49.
13. MMA, V, p. 149-50, 156, 172, 187,451-52, 557.
14. MMA, V, p. 379-81; cf. 243-5.
15. MMA, V, p. 248, 252-56, 257-8, 259-61, 294-95, 302-04, 319-20, 365-66.
16. MMA, V, p. 359.
17. MMA, VI, p. 273.
18. MMA, VIII, p. 111, 164.
19. C'est la conclusion que tire António Bràsio dans "Os proto-missionàrios do Congo," Portugal em Africa, vol. 1 (1944), p. 99-112, des faits concernant la nationalité des premiers missionaires.
20. MMA, I, p. 83-85.
21. MMA, I, p. 86, 90-103.
22. MMA, I, p. 406.
23. MMA, I, p. 294, 355; 11, p. 103-107.
24. MMA, I, p. 335; II, p. 76.
25. MMA, I, 459, 468, 475.
26. MMA, I, p. 483-84; IV, p. 141.
27. L. Jadin, l'oeuvre missionnaire en Afrique noire", in Sacrae Congregationis de Propaganda Fide memoria rerum, vol. 1/2 (1622-1700), Rome, 1973, p. 427.
28. MMA, II, p. 151, 153.
29. MMA, II, p. 155.
30. Luis de Sousa, Historia de S. Domingos, 1 Parte, Liv, 4, Cap. 3, cité in MMA, IV, p. 273-5.
31. MMA, II, p. 273, 281, 283, 295, 299; IV, p. 355, 393; Florencio del Nio Jesùs, "La mision del Congo y los Carrnelitos" (1929) et "Fr Francisco el Indigno, apostol del Congo, 1529-1601 " (1934).
32. MMA, III, p. 340.
33. MMA, III, p. 340.
34. MMA, III, p. 344, 350.
35. MMA, III, p. 429.
36. MMA, III, p. 520.
37. MMA, V, p. 63, 64-80, 81, 84-85, 86, 87, 88-89, 91, 92, 127-8, 129, 133, 134-37.
38. MMA, V, p. 112.
39. MMA, 146, 151, 157.
40. MMA, V, p. 262.
41. MMA, V, p. 280.
42. MMA, V, p. 350.
43. MMA, V, p. 532.
44. MMA, V, p. 335-36, 440, 443, 446, 449-50, 453-54, 598-99, 600.
45. MMA, VI, p. 41, 42, 45.
46. Luis de Sousa, História de S. Domingos, 1 Parte, Liv. 4, Cap 12, cité in MMA, V, p. 605-06, 607-14.
47. MMA, VI, p. 125, 128-32.
48. MMA, VI, p. 288, 292.