Textes philosophiques

Bergson La vie intrieure


 ...lorsque j'articule la dernire syllabe du mot, les deux premires ont t articules dj; elles sont du pass par rapport celle-l, qui devrait alors s'appeler du prsent. Mais cette dernire syllabe rie , je ne l'ai pas prononce instantanment ; le temps, si court soit-il, pendant lequel je l'ai mise, est dcomposable en parties, et ces parties sont du pass par rapport la dernire d'entre elles, qui serait, elle, du prsent dfinitif si elle n'tait dcomposable son tour : de sorte que vous aurez beau faire, vous ne pourrez tracer une ligne de dmarcation entre le pass et le prsent, ni par consquent, entre la mmoire et la conscience. A vrai dire, quand j'articule le mot causerie , j'ai prsents l'esprit non seulement le commencement, le milieu et la fin du mot, mais encore les mots qui ont prcd, mais encore tout ce que j'ai dj prononc de la phrase ; sinon, j'aurais perdu le fil de mon discours. Maintenant, si la ponctuation du discours et t diffrente, ma phrase et pu commencer plus tt; elle et englob, par exemple, la phrase prcdente, et mon prsent se ft dilat encore davantage dans le pass. Poussons ce raisonnement jusqu'au bout : supposons que mon discours dure depuis des annes, depuis le premier veil de ma conscience, qu'il se poursuive en une phrase unique, et que ma conscience soit assez dtache de l'avenir, assez dsintresse de l'action, pour s'employer exclusivement embrasser le Sens de la phrase : je ne chercherais pas plus d'explication, alors, la conservation intgrale de cette phrase que je n'en cherche la survivance des deux premires syllabes du mot causerie quand je prononce la dernire Or, je crois bien que notre vie intrieure tout entire est quelque chose comme une phrase unique entame ds le premier veil de la conscience, phrase seme de virgules, mais nulle part coupe par des points. Et je crois par consquent aussi que notre pass tout entier est l, subconscient - je veux dire prsent nous de telle manire que notre conscience, pour en avoir la rvlation, n'ait pas besoin de sortir d'elle-mme ni de rien s'adjoindre d'tranger : elle n'a, pour apercevoir distinctement tout ce queue renferme ou plutt tout ce queue est, qu' carter un obstacle, soulever un voile. Heureux obstacle, d'ailleurs ! voile infiniment prcieux ! C'est le cerveau qui nous rend le service de maintenir notre attention fixe sur la vie; et la vie, elle, regarde en avant; elle ne se retourne en arrire que dans la mesure o le pass peut l'aider clairer et prparer l'avenir. Vivre, pour l'esprit, c'est essentiellement se concentrer sur l'acte accomplir. C'est donc s'insrer dans les choses par l'intermdiaire d'un mcanisme qui extraira de la conscience tout ce qui est utilisable pour l'action, quitte obscurcir la plus grande partie du reste. Tel est le rle du cerveau dans l'opration de la mmoire : il ne sert pas conserver le pass, mais le masquer d'abord, puis en laisser transparatre ce qui est pratiquement utile. Et tel est aussi le rle du cerveau vis--vis de l'esprit en gnral. Dgageant de l'esprit ce qui est extriorisable en, mouvement, insrant l'esprit dans ce cadre moteur, il l'amne limiter le plus souvent sa vision, mais aussi rendre son action efficace. C'est dire que l'esprit dborde le cerveau de toutes parts, et que activit crbrale ne rpond qu' une infime partie de L'activit mentale.

Mais c'est dire aussi que la vie de l'esprit ne peut pas tre un effet de la vie du corps, que tout se passe au contraire comme si le corps tait utilis par lesprit, ... 

L'nergie spirituelle


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