Textes philosophiques

Henri Bergson    Conscience et choix


     Ainsi se complte la conclusion o nous arrivions d'abord ; car si, comme nous le disions, la conscience retient le pass et anticipe l'avenir, c'est prcisment, sans doute, parce qu'elle est appele effectuer un choix : pour choisir, il faut penser ce qu'on pourra faire et se remmorer les consquences, avantageuses ou nuisibles, de ce qu'on a dj fait ; il faut prvoir et il faut se souvenir. Mais d'autre part notre conclusion, en se compltant, nous fournit une rponse plausible la question que nous venons de poser : tous les tres vivants sont-ils des tres conscients, ou la conscience ne recouvre-t-elle qu'une partie du domaine de la vie ? Si, en effet, conscience signifie choix, et si le rle de la conscience est de se dcider, il est douteux qu'on rencontre la conscience dans des organismes qui ne se meuvent pas spontanment et qui n'ont pas de dcision prendre. A vrai dire, il n'y a pas d'tre vivant qui paraisse tout fait incapable de mouvement spontan. Mme dans le monde vgtal, o l'organisme est gnralement fix au sol, la facult de se mouvoir est plutt endormie qu'absente : elle se rveille quand elle peut se rendre utile. Je crois que tous les tres vivants, plantes et animaux, la possdent en droit ; mais beaucoup d'entre eux y renoncent en fait, - bien des animaux d'abord, surtout parmi ceux qui vivent en parasites sur d'autres organismes et qui n'ont pas besoin de se dplacer pour trouver leur nourriture, puis la plupart des vgtaux : ceux-ci ne sont-ils pas, comme on l'a dit, parasites de la terre ? E me parat donc vraisemblable; que la conscience, originellement immanente tout ce qui vit, s'endort l o il n'y a plus de mouvement spontan, et s'exalte quand la vie appuie vers l'activit libre. Chacun de nous a d'ailleurs pu vrifier cette loi sur lui-mme. Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cesse d'tre spontane pour devenir automatique ? La conscience s'en retire. Dans l'apprentissage d'un exercice, par exemple, nous commenons par tre conscients de chacun des mouvements que nous excutons, parce qu'il vient de nous, parce qu'il rsulte d'une dcision et implique un choix ; puis, mesure que ces mouvements s'enchanent davantage entre eux et se dterminent plus mcaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous dcider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparat. Quels sont, d'autre part, les moments o notre conscience atteint le plus de vivacit ? Ne sont-ce pas les moments de crise intrieure, o nous hsitons entre deux ou plusieurs partis prendre, o nous sentons que notre avenir sera ce que nous l'aurons fait ? Les variations d'intensit de notre conscience semblent donc bien correspondre la somme plus ou moins considrable de choix ou, si vous voulez, de cration, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte croire qu'il en est ainsi de la conscience en gnral. Si conscience signifie mmoire et anticipation, c'est que conscience est synonyme de choix ".

L'Energie spirituelle, p. 10-11.


Accueil| Cours de philosophie| Suivi des classes| Textes philosophiques| Liens sur la philosophie| Nos travaux| Informations
 philosophie.spiritualite@gmail.com