Textes philosophiques

Bergson   l'adaptation et l'homo faber


   En ce qui concerne l'intelligence humaine, on n'a pas assez remarqu que l'invention mcanique a d'abord t sa dmarche essentielle, qu'aujourd'hui encore notre vie sociale gravite autour de la fabrication et de l'utilisation d'instruments artificiels, que les inventions qui jalonnent la route du progrs en ont aussi trac la direction. Nous avons de la peine nous en apercevoir, parce que les modifications de l'humanit retardent d'ordinaire sur les transformations de son outillage. Nos habitudes individuelles et mme sociales survivent assez longtemps aux circonstances pour lesquelles elles taient faites, de sorte que les effets profonds d'une invention se font remarquer lorsque nous en avons dj perdu de vue la nouveaut. [] Dans des milliers d'annes, quand le recul du pass n'en laissera plus apercevoir que les grandes lignes, nos guerres et nos rvolutions compteront pour peu de chose, supposer qu'on s'en souvienne encore; mais de la machine vapeur, avec les inventions de tout genre qui lui font cortge, on parlera peut-tre comme nous parlons du bronze ou de la pierre taille; elle servira dfinir un ge. Si nous pouvions nous dpouiller de tout orgueil, si, pour dfinir notre espce, nous nous en tenions strictement ce que l'histoire et la prhistoire nous prsentent comme la caractristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-tre pas Homo sapiens, mais Homo faber. En dfinitive, l'intelligence, envisage dans ce qui en parat tre la dmarche originelle, est la facult de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils faire des outils et d'en varier indfiniment la fabrication.

 Lvolution cratrice (1907), PUF, 1996, chap. II, pp.138-140.

Indications de lecture :

Voir leon sur Technique et tradition


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