Textes philosophiques

Diderot    le philosophe


       Il n'y a rien qui cote moins acqurir aujourd'hui que le nom de philosophe : une vie obscure et retire, quelques dehors de sagesse, avec un peu de lecture, suffisent pour attirer ce nom des personnes qui s'en honorent sans le mriter. D'autres en qui la libert de penser tient lieu de raisonnement, se regardent comme les seuls vritables philosophes, parce qu'ils ont os renverser les bornes sacres poses par la religion, [...] Fiers de s'tre dfaits des prjugs de l'ducation, en matire de religion, ils regardent avec mpris les autres comme des mes faibles, [...] qui n'osant sortir un instant du cercle des vrits tablies, ni marcher dans des routes nouvelles, s'endorment sous le joug de la superstition. Mais on doit avoir une ide plus juste du philosophe et voici le caractre que nous lui donnons. Les autres hommes sont dtermins agir sans sentir, ni connatre les causes qui le font mouvoir, sans mme songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire, dmle les causes autant qu'il est en lui, et souvent mme les prvient, et se livre elles avec connaissance; c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelques fois elle-mme. [...] La raison est l'gard du philosophe, ce que la grce est l'gard du chrtien. La grce dtermine le chrtien agir; la raison dtermine le philosophe. Les autres hommes sont emports par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient prcdes de la rflexion : ce sont des hommes qui marchent dans les tnbres ; au lieu que le philosophe dans ses passions mmes, n'agit qu'aprs rflexion ; il marche la nuit, mais il est prcd d'un flambeau.[...] La vrit n'est pas pour le philosophe une matresse qui corrompe son imagination, [...] Il ne la confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblable ce qui n'est que vraisemblable. Il fait plus, et c'est une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif propre pour juger, il sait demeurer indtermin. [...] L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout ses vritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention et ses soins.[...] la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il tudie, et qu'il travaille acqurir les qualits sociables. Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde; il ne croit point tre en pays ennemi ; il veut jouir en sage conome des biens que la nature lui offre ; il veut trouver du plaisir avec les autres ; et pour en trouver, il en faut faire : [...] c'est un honnte homme qui veut plaire et se rendre utile. [...] notre philosophe qui sait se partager entre la retraite et le commerce des hommes, est plein d'humanit. Les sentiments de probit entrent autant dans la constitution mcanique du philosophe, que les lumires de l'esprit. Plus vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probit. Au contraire o rgne le fanatisme et la superstition, rgnent les passions et l'emportement. Le temprament du philosophe, c'est d'agir par esprit d'ordre ou par raison ; comme il aime extrmement la socit, il lui importe bien plus qu'au reste des hommes de disposer tous ses ressorts ne produire que des effets conformes l'ide d'honnte homme. [...] Le philosophe est donc un honnte homme qui agit en tout par raison, et qui joint un esprit de rflexion et de justesse les moeurs et les qualits sociables. Entez un souverain sur un philosophe d'une telle trempe, et vous aurez un parfait souverain...

article Philosophe dans Encyclopdie ou dictionnaire raisonn des sciences, des arts et mtiers, tome 12, 1765.     

 


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