Textes philosophiquesSartre la nause de l'existenceJtais tout l'heure au jardin public. La racine du marronnier senfonait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c'tait une racine. Les mots s'taient vanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d'emploi, les faibles repres que les hommes ont tracs leur surface. J'tais assis, un peu vot, la tte basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entirement brute et qui me faisait peur. Et puis j'ai eu cette illumination. a m'a coup le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais senti ce que voulait dire exister . J'tais comme les autres, comme ceux qui se promnent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je pensais comme eux la mer est verte; ce point blanc, l-haut, cest une mouette, mais je ne sentais pas que a existait,.[...] Jtais l, immobile et glac, plong dans une extase horrible. Mais au sein mme de cette extase quelque chose de neuf venait dapparatre ; je comprenais la Nause, je la possdais. A vrai dire je ne me formulais pas mes dcouvertes. Mais je crois qu' prsent, il me serait facile de les mettre en mots. Lessentiel cest la contingence. Je veux dire que lexistence nest pas la ncessit ... "Les arbres flottaient. Un jaillissement vers le ciel ? Un affalement plutt ; chaque instant je mattendais voir les troncs se rider comme des verges lasses, se recroqueviller et choir sur le sol en un tas noir et mou avec des plis. Ils navaient pas envie dexister, seulement ils ne pouvaient pas sen empcher (...) Je savais bien que ctait le Monde, le Monde tout nu qui se montrait tout dun coup, et jtouffais de colre contre ce gros tre absurde. On ne pouvait mme pas se demander do a sortait, tout a, ni comment il se faisait quil existt un monde, plutt que rien ; a navait pas de sens, le monde tait partout prsent, devant, derrire. Il ny avait rien eu avant lui. Rien. Il ny avait pas eu de moment o il aurait pu ne pas exister". La Nause
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