Textes philosophiquesSartre la honte"J'ai honte de ce que je suis. La honte ralise donc une relation intime de moi avec moi : j'ai dcouvert par la honte un aspect de mon tre. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et drives de la honte puissent apparatre sur le plan rflexif, la honte n'est pas originellement un phnomne de rflexion. En effet, quels que soient les rsultats que l'on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure premire est honte devant quelqu'un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle moi, je ne le juge ni ne le blme, je le vis simplement, je le ralise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout coup que je lve la tte : quelqu'un tait l et m'a vu. Je ralise tout coup la vulgarit de mon geste et j'ai honte. Il est certain que ma honte n'est pas rflexive, car la prsence d'autrui ma conscience, ft-ce la manire d'un catalyseur, est incompatible avec l'attitude rflexive : dans le champ de ma rflexion, je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le mdiateur indispensable entre moi et moi-mme : j'ai honte de moi tel que j'apparais autrui. Et, par l'apparition mme d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-mme comme sur un objet, car c'est comme objet que j'apparais autrui. Mais pourtant cet objet apparu autrui, ce n'est pas une vaine image dans l'esprit d'un autre. Cette image en effet serait entirement imputable autrui et ne saurait me toucher . Je pourrais ressentir de l'agacement, de la colre en face d'elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prte une laideur ou une bassesse d'expression que je n'ai pas ; mais je ne saurais tre atteint jusqu'aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. L'Etre et le Nant, 3e partie, I, 1, Gallimard, col. Tel p. 265-266.
|