Textes philosophiques

Simone Weil   l'obligation et les besoins


     Il y a des milliers d'annes, les gyptiens pensaient qu'une me ne peut pas tre justifie aprs la mort si elle ne peut pas dire Je n'ai laiss personne souffrir de la faim. Tous les chrtiens se savent exposs entendre un jour le Christ lui-mme leur dire : J'ai eu faim et tu ne m'as pas donn manger. Tout le monde se reprsente le progrs comme tant d'abord le passage un tat de la socit humaine o les gens ne souffriront pas de la faim. Si on pose la question en termes gnraux n'importe qui, personne ne pense qu'un homme soit innocent si, ayant de la nourriture en abondance et trouvant sur le pas de sa porte quelqu'un aux trois quarts mort de faim, il passe sans rien lui donner.

     C'est donc une obligation ternelle envers l'tre humain que de ne pas le laisser souffrir de la faim quand on a l'occasion de le secourir. Cette obligation tant la plus vidente, elle doit servir de modle pour dresser la liste des devoirs ternels envers tout tre humain. Pour tre tablie en toute rigueur, cette liste doit procder de ce premier exemple par voie d'analogie.

     Par consquent, la liste des obligations envers l'tre humain doit correspondre la liste de ceux des besoins humains qui sont vitaux, analogues la faim. Parmi ces besoins, certains sont physiques, comme la faim elle-mme. Ils sont assez faciles numrer. Ils concernent la protection contre la violence, le logement, les vtements, la chaleur, l'hygine, les soins en cas de maladie. D'autres, parmi ces besoins, n'ont pas rapport avec la vie physique, mais avec la vie morale. Comme les premiers cependant ils sont terrestres, et n'ont pas de relation directe qui soit accessible notre intelligence avec la destine ternelle de l'homme. Ce sont, comme les besoins physiques, des ncessits de la vie d'ici-bas. C'est--dire que s'ils ne sont pas satisfaits, l'homme tombe peu peu dans un tat plus ou moins analogue la mort, plus ou moins proche d'une vie purement vgtative.

      Ils sont beaucoup plus difficiles reconnatre et numrer que les besoins du corps. Mais tout le monde reconnat qu'ils existent. Toutes les cruauts qu'un conqurant peut exercer sur des populations soumises, massacres, mutilations, famine organise, mise en esclavage ou dportations massives, sont gnralement considres comme des mesures de mme espce, quoique la libert ou le pays natal ne soient pas des ncessits physiques. Tout le monde a conscience qu'il y a des cruauts qui portent atteinte la vie de l'homme sans porter atteinte son corps. Ce sont celles qui privent l'homme d'une certaine nourriture ncessaire la vie de l'me.

L'Enracinement, Gallimard point, p. 13-14.

Indications de lecture :


 


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