Textes philosophiques

Simone Weil   libert, conscience et responsabilit


     Une nourriture indispensable l'me humaine est la libert. La libert, au sens concret du mot, consiste dans une possibilit de choix. Il s'agit, bien entendu, d'une possibilit relle. Partout o il y a vie commune, il est invitable que des rgles, imposes par l'utilit commune, limitent le choix. Mais la libert n'est pas plus ou moins grande selon que les limites sont plus troites ou plus larges.  Elle a sa plnitude des conditions moins facilement mesurables.

     Il faut que les rgles soient assez raisonnables et assez simples pour que quiconque le dsire et dispose d'une facult moyenne d'attention puisse comprendre, d'une part l'utilit laquelle elles correspondent, d'autre part les ncessits de fait qui les ont imposes. Il faut qu'elles manent d'une autorit qui ne soit pas regarde comme trangre ou ennemie, qui soit aime comme appartenant ceux qu'elle dirige. Il faut qu'elles soient assez stables, assez peu nombreuses, assez gnrales, pour que la pense puisse se les assimiler une fois pour toutes, et non pas se heurter contre elles toutes les fois qu'il y a une dcision prendre.

     A ces conditions, la libert des hommes de bonne volont, quoique limite dans les faits, est totale dans la conscience. Car les rgles s'tant incorpores leur tre mme, les possibilits interdites ne se prsentent pas leur pense et n'ont pas tre repousses. De mme l'habitude, imprime par l'ducation, de ne pas manger les choses repoussantes ou dangereuses n'est pas ressentie par un homme normal comme une limite la libert dans le domaine de l'alimentation. Seul l'enfant sent la limite.

     Ceux qui manquent de bonne volont ou restent purils ne sont jamais libres dans aucun tat de la socit.

     Quand les possibilits de choix sont larges au point de nuire l'utilit commune, les hommes n'ont pas la jouissance de la libert. Car il leur faut, soit avoir recours au refuge de l'irresponsabilit, de la purilit, de l'indiffrence, refuge o ils ne peuvent trouver que l'ennui, soit se sentir accabls de responsabilit en toute circonstance par la crainte de nuire autrui. En pareil cas les hommes, croyant tort qu'ils possdent la libert et sentant qu'ils n'en jouissent pas, en arrivent penser que la libert n'est pas un bien.

     L'Enracinement, Gallimard point, p. 21-23.

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