LE POUVOIR ET L'ATTRACTION DE L'ISLAM Parler de l'Islam n'est pas uniquement une question d'analyser l'Islam, mais aussi il exige une réflection sur certains principes de la philosophie et la théologie, les sujets que vous êtes en train d'étudier.
Le recherche de pouvoir provient du fait que nous sommes finis et limités. Nous avons besoin des choses déterminées et d'autres choses non-déterminées. Certaines choses nous sont déterminées comme nécessaires par la nature, comme la nourriture etc. Nous cherchons d'autres choses selon notre choix libre, comme les luxes de la vie, Dieu même, et les moyens de le servir.
Pour atteindre tout ce que nous cherchons, nous avons besoin de pouvoir, de suppléer la faiblesse de notre propre pouvoir soit en le développant, soit en cherchant appuis en dehors de nous-mêmes.
Le pouvoir, dans toutes ses espèces (physique, politique, économique, intellectuel, spirituel), alors, est la marchandise la plus recherchée et la plus réclamé dans le monde, mais surtout dans nos pays qui passent par des crises économiques et politiques et sociales.
Certains cherchent le pouvoir en mangeant ou buvant certaines choses comme nourriture ou médicament. Si on les prend, l'on croit, on sera bien. D'autres cherchent le pouvoir dans les amitiés humains, les associations politiques ou, dans un mot, dans les "connexions". Certains utilisent ces moyens pour leur propre bien-être, d'autres pour le royaume de Dieu.
Dans la recherche du pouvoir par moyen de la religion, on voit les plus grandes différences, selon les principes de base des diverses catégories de religion:
1) Les religions de type panthéiste, comme les religions orientales, la Hari Krishna, la Rose-croix, l'Ekankar, le Graal et tant d'autres, présentent l'homme comme une étincelle du divin tombée dans la matière. Il doit s'en purifier en gardant ses passions et se mettant dans un état de calme où il peut voir l'intérieur de lui-même et toucher le volcan de pouvoir cosmique qui s'y renferme. Ainsi il peut sortir de sa faiblesse et connaître et faire des merveilles, ayant le succès en tout ce qu'il désire.
Ces religions ne demandent pas une soumission à un être supérieur, mais enseignent le contrôle du propre pouvoir de chacun, qui est infini, unique et commun à tous.
2) Les religions de type polythéiste présentent l'homme comme créature d'un être suprême (Dieu), mais qui ne sait pas bien gouverner la multitude de ses créatures spirituelles. Ces dernières sont effectivement en désaccord avec Dieu et avec l'un l'autre. L'homme souvent n'a rien à faire avec Dieu, qui est oiseux, mais il doit savoir bien ménager les esprits par la diplomatie et la pacification, selon les instructions de leur divins.
Dans ce cas, l'effort de contrôler et utiliser les esprits pour nos propres buts est une manipulation qui nous met en position de supérieur, sans vraiment nous soumettre à aucun esprit ou même Dieu.
3) Les religions de type monothéiste, comme le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, prêchent un Dieu transcendant, tout-puissant, auquel l'homme doit se soumettre. La faon dont l'homme peut bénéficier du pouvoir divin est différente selon chacune de ces religions monothéistes:
Le Judaïsme présent un Dieu transcendant, souverain et jaloux, qui n'admet aucune concurrence des divinités inférieures. Il prend l'initiative à l'égard de l'homme, et le lie avec soi-même par une alliance éternelle. Même s'il faut le châtier pour ses égarements, Dieu jamais ne l'abandonne, mais le poursuit comme un amoureux inlassable, se présentant (surtout dans la tradition Yahviste) soit comme père, soit comme pasteur, soit comme époux.
L'homme prospère par sa fidélité. Même si Dieu le permet parfois de souffrir, il le protège, et à la fin il le menera à la gloire.
Le Christianisme hérite du Judaïsme cette même perspective et la pousse encore plus loin, par l'idée de l'Incarnation, l'accord de l'Esprit-Saint avec tous ses dons, et l'inhabitation dans l'homme de la Trinité.
L'homme reste distinct de Dieu, soumis à lui, mais il devient aussi son ami, partageant tous ses trésors de sagesse et de pouvoir. Le chrétien peut se fier dans la providence divine et aussi dans sa protection particulière s'il se voue à la service de Dieu. D'ailleurs la motivation de travailler et exploiter la sagesse humaine d'un part, et d'utiliser les dons particuliers de l'Esprit d'autre part, lui confèrent un sens de pouvoir considérable à coté de la dimension chrétien de la croix.
L'Islam revient à la tradition sacerdotale du Penteteuch, en insistant sur la transcendance absolue de Dieu et en rejetant tout anthropomorphisme et tout image de familiarité entre Dieu et l'homme. L'unicité de Dieu lui assure la tout-puissance, excluant toute concurrence, soit d'autres prétendues divinités, soit de l'homme ou de la nature. Puisqu'il est souverain de tout, sa loi (la Sharî`a, qui se trouve dans le Qur'ân et le Hadîth) et compréhensive et s'étend, en principe, à chaque détail de la vie.
L'homme n'a que se soumettre à cette loi et aux décrets cachés de sa providence. On peut prier pour ce qu'on désire, mais en dernière analyse, c'est Dieu qui s'occupe de tout, et il va accomplir ses desseins. La fidélité à Dieu est le plus sur moyen de bénéficier de sa bienveillance.
La fidélité implique la lutte (jihâd) pour faire prévaloir la loi et le règne de Dieu dans sa propre vie et dans la société. Le croyant est l'instrument de Dieu pour imposer les prescriptions de la Sharî`a.
Pourquoi imposer? Le Qur'ân c'est "la parole de Dieu fait livre", d'une certaine manière comparable à l'incarnation chrétienne plutôt qu'à la Bible. Mais la plupart des musulmans prennent cette "inlivration" de la parole de Dieu dans un sens monophysite, c'est-à-dire que le Qur'ân a une seule nature divine, ne laissant aucune place pour la contribution d'un auteur humain. Il n'y a pas, comme dans l'orthodoxie chrétienne, un mariage entre le divin et l'humain, mais le divin remplace l'humain. Ainsi le Qur'ân s'impose.
Cette manière de voir le Qur'ân provient, comme je montre dans ma Philosophie du monde arabe (chaptre 3), d'une conception de l'analogie comme étant uniquement celle d'attribution, et non de proportionnalité.
La plupart des musulmans n'admettent pas que le Qur'ân pourrait être en aucune manière un produit de la culture arabe. Ils le prennent comme descendu du ciel tout fait, un photocalque du Royaume de Dieu sur la terre, d'où la suppression de tout ce qui n'appartient pas de ce plan. On ne peut pas parler d'inculturation, parce que la culture doit faire place à la révélation. On n'a plus le droit d'instituer des institutions de droit humain, c'est-à-dire une constitution ou des lois qui seraient autre que la Sharî`a, pour la même raison.
C'est ainsi que le monde musulmane a la tendance non seulement de supprimer par la force tout ce qui n'est pas islamique, mais aussi de laisser un vide politique, parce que la Sharî`a dit, en effet, très peu sur les institutions politiques. Elle ne précise pas aucun système de gouvernement, aucune division de pouvoirs, ni aucun terme d'office pour ceux qui dirigent. Tout est laissé à la discrétion de celui qui arrive à s'imposer dans un pays comme chef d'état.
Néanmoins, un état ne peut pas bien fonctionner sans institutions politiques qui sont aussi stables que souples, soutenues par une tradition évoluante. Ces institutions sont exactement ce que la Sharî`a interdit, qui prétend d'avoir la réponse de toute question de la vie, mais en ne l'ayant pas, ne permet pas la création d'un autre système qui fournirait ce qu'elle manque.
C'est pourquoi le pouvoir politique illimité prévaut dans bien de sociétés musulmanes. Un homme fort impose sa volonté aux autres en leur donnant des bénéfices ou en les menaant de châtiment.
D'autre part bien de musulmans sentent que le pouvoir de leur chefs est mondain et n'a rien à dire avec la religion. Ils se retirent des cercles de pouvoir politique et se consacrent aux pratiques de piété. Gagnant la réputation de sainteté, ils attirent les gens qui cherchent le conseil, la prière et des miracles. Ainsi une division de pouvoir se produit. L'autorité religieuse et morale passe aux gens séparés du monde politique, et les chefs d'état qui parlent respectueusement de la Sharî`a, mais agissent comme détenteurs de pouvoir séculier. Il arrive que les premiers parfois essaient de prendre le pouvoir eux-mêmes dans le but de réformer la société.
Ainsi, dans l'Islam nous constatons l'existence de deux faons de pouvoir assez différentes, chacune avec son attraction: un pouvoir mondain et un pouvoir spirituel. La disparité et manque d'intégration des deux provient, à mon avis, de la théologie monophysite prévalant en Islam.